Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/133

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

des sciences, c’est-à-dire des méthodes d’investigation plus ou moins prudentes et sûres. Rien de plus contraire au véritable esprit scientifique que le scientisme unitaire dont il a été question plus haut. — L’individualiste d’ailleurs est médiocrement ami de l’intellectualisme, où il voit avec raison une menace d’autoritarisme. Avec les Bayle, les Stendhal, les Fourier, il nie volontiers l’action de l’idée sur la conduite ; il limite le champ de la prévoyance, il appelle de ses vœux la liberté et le hasard. La prévoyance nous forge des chaînes ; elle nous rend prudents, timorés, calculateurs. L’individualiste chante volontiers avec Stirner l’heureuse liberté de l’instant, il se défie des généralisations de la sociologie qui, pour être une science inexacte, n’en est pas moins despotique ; il s’insurge contre l’oligarchie de savants rêvée par M. Berthelot avec autant de vanité que les anciens papes rêvaient d’une théocratie universelle. L’individualiste aime peu les plans de réorganisation sociale ; son attitude en face de ces problèmes est celle, toute négative, définie par l’Ennemi des Lois de M. Barrès : « Que mettrez-vous à la place, m’allez-vous dire ? Je l’ignore, quoique j’en sois fort curieux. Entraîné à détruire tout ce qui est, je ne vois rien de précis à substituer là. C’est la situation d’un homme qui souffre de brodequins trop étroits : il n’a souci que de les ôter… De toute sincérité, je me crois d’une race qui ne vaut que pour comprendre et désorganiser[1]. »

  1. M. Barrès, l’Ennemi des lois, p. 25.