Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/141

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On rentre les yeux dessillés, le cerveau rafraîchi et nettoyé de toute la petite sottise sociale qui l’envahissait. D’autres fois, si l’on ne peut voyager, on peut du moins se mettre à la suite d’un grand voyageur du rêve. Je me souviens d’un ami qui, malade, isolé dans de petites villes méchantes, entouré de petites haines et de ragots imbéciles, se donnait une sensation infinie de joie et de liberté en relisant les Reisebilder. Il s’échappait avec Heine dans le monde enchanté du rêve, et le milieu n’existait plus pour lui.

Ces quelques préceptes individualistes n’ont qu’une valeur d’exemples. On en trouverait un grand nombre d’analogues dans les Aphorismes de Schopenhauer et aussi chez Vigny et chez Stirner. Ils suffisent à caractériser la psychologie de l’individualiste et à la distinguer de celle de l’anarchiste.

Disons un mot en terminant des destinées probables de l’anarchisme et de l’individualisme.

À l’heure actuelle, l’anarchisme semble être entré, soit comme doctrine, soit comme parti, dans une période de désagrégation et de dissolution. M. Laurent Tailhade, transfuge, il est vrai, du parti, constatait naguère cette dissolution avec un mélange de mélancolie et d’ironie. La raison de cette désagrégation se trouve vraisemblablement dans la contradiction intime, que nous avons signalée plus haut. C’est la contradiction qui existe entre les deux principes que l’anarchisme prétend concilier : le principe indivi-