Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/44

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Les sentiments solidaristes sont des sentiments anonymes, impersonnels, abstraits, c’est-à-dire que ce ne sont pas des sentiments. Le type de ces pseudo-sentiments, ce sont ces sentiments qui font qu’on ouvre son cœur à une corporation tout entière. Ces sentiments sont le triomphe du poncif, du banal, de l’officiel et du faux. Ce sont les sentiments que peut éprouver un préfet, par exemple, pour une société de gymnastique ou pour une fanfare qu’il est en train de haranguer, pour un comice agricole ou un comité politique qu’il préside ou qu’il reçoit. Tout sentiment qui a pour objet un troupeau humain est forcément superficiel, à fleur d’âme, pour ainsi dire. Il perd en profondeur ce qu’il gagne en étendue.

La solidarité trouve son expression la plus abstraite dans l’amour de l’humanité, dans ce qu’on appelle maintenant d’un mot que la critique de Stirner a vulgarisé : l’humanisme. — L’humanisme s’opposera donc à l’amitié de la même manière et pour les mêmes raisons que la solidarité.

Comme cette dernière, l’humanisme est anti-individualiste. L’humanisme est le culte de l’homme en général, de l’espèce homme. Mais l’humanisme hait l’individu. Il ne le connaît que pour le honnir. On peut appliquer à l’humanisme ce que Stirner dit de l’amour chrétien du Pur-Esprit. « Aimer l’individu humain, en chair et en os, ne serait plus un amour « spirituel », ce serait une trahison envers l’amour « pur ». Ne confondez pas en effet avec l’amour pur cette cordialité qui serre amicalement la main à chacun ; il