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Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/67

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Ce qui fait l’infériorité intellectuelle du rire, c’est qu’il est toujours une manifestation sociale. L’ironie est au contraire un état d’âme individuel. Elle est la fleur de désillusion, la fleur funéraire qui fleurit dans le recueillement solitaire du moi.

Le contraire de l’ironie, c’est le sérieux, le pectus, comme dit Amiel. Toutefois cela n’est vrai qu’en partie. Car l’ironie profondément sentie et intellectuellement motivée a elle-même quelque chose de sérieux et même de tragique. Cela est si vrai que les âmes les plus sérieuses, les plus passionnées — la passion est toujours sérieuse — sont aussi les plus enclines à l’ironie, quand les circonstances les y portent. Amiel en est lui-même un exemple. Il a compris admirablement la double nature du sérieux et de l’ironie, tout en donnant la préférence au premier. « La raison, dit-il, pour laquelle l’ironie à perpétuité nous repousse, c’est qu’elle manque de deux choses : d’humanité et de sérieux. Elle est un orgueil, puisqu’elle se met au-dessus des autres… Bref on traverse les livres ironiques, on ne s’attache qu’à ceux où il y a du pectus[1]. »

L’espèce de gens à qui l’ironie est antipathique éclaire aussi sa nature. Ce sont les femmes et le peuple. Le peuple ne comprend pas l’ironie ; la femme non plus. Le peuple voit sous l’ironie un orgueil de l’intelligence, une insulte à Caliban. Quant à la femme, elle est peuple par son incompréhension et

  1. Journal intime, t. II, p. 305.