Page:Palante - Précis de sociologie, 1901.djvu/104

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tion avec la naïve et utile confiance dont la société aime à le voir animé. L’idéal serait que l’individu fût tellement imbu de la croyance en la perfection du mécanisme social, que, même vaincu, il n’attribuât sa défaite qu’à lui-même et ne s’en prît jamais à la société.

À cette loi d’optimisme social on peut rattacher le discrédit significatif dont le philistin, c’est-à-dire le parfait conformiste, l’homme imbu des orthodoxes doctrines sociales, frappe unanimement les écrivains pessimistes. Le philistin regarde comme personnellement injurieuse pour lui une conception pessimiste de l’humanité et de la société. Pour lui, les pessimistes sociaux sont des esprits mal faits ou aigris, en tout cas des impolis[1].



  1. Au moment où nous corrigeons les épreuves de ce travail, a lieu la publication de l’œuvre posthume de Challemel-Lacour : Études et Réflexions d’un Pessimiste (Paris, 1901), admirable livre de libération intellectuelle, de sagesse hautaine et sereine, jet de lumière crue projeté par un penseur d’une absolue franchise sur les bas-fonds de la sottise grégaire. Qu’on lise par exemple ce que dit Challemel-Lacour de la tactique employée par la société pour imposer silence à ceux qui ne partagent pas l’obligatoire optimisme béat : « Si vous êtes d’une santé fragile, atteint de quelque triste infirmité, si vous avez été assez maltraité par la fortune pour qu’on puisse vous supposer aigri, on triomphera de vous facilement. Il faudra désormais vous en tenir aux axiomes, si vous ne voulez pas qu’on vous réponde d’un accent qui n’admet pas de réplique ces mots écrasants : Vous êtes malade ! » Challemel-Lacour, Études et Réflexions d’un Pessimiste, p. 37.