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La science pourra assimiler les phénomènes dans ses formules de plus en plus larges. Elle n’assimilera pas les âmes au point de les identifier, au point de détruire ce je ne sais quoi d’individuel qui faisait dire à Schopenhauer : Omne individuum ineffabile. Non, pas plus que l’assimilation croissante des forces et des êtres de la nature opérée par la mécanique et la physique ne suppriment dans l’univers l’infinie diversité et la toujours renaissante individualité des choses.

Il ne peut être question d’opposer ici, comme certains l’ont fait, la Morale et l’Esthétique à la Science. Nous croyons au contraire que le progrès moral et même esthétique peut être étroitement lié au progrès scientifique[1].

Mais la vérité esthétique et morale n’en reste pas moins différente, — plus subjective et plus complexe de la vérité scientifique. Elle ne se laisse pas emprisonner dans d’exactes formules mathématiques et laisse plus de champ à l’invention de chacun.

La science, par son progrès même, semble élargir le domaine dans lequel se meut la pensée esthétique et morale. En brisant les dogmatismes étroits et grossiers du passé, dogmatismes qui cachaient toujours une arrière-pensée politique et un égoïsme de groupe, la science a affranchi l’individu et l’a mis ou plutôt remis en présence de la nature. Elle a du même coup renouvelé et diversifié à l’infini les points de vue esthétiques et moraux de l’humanité.

Pendant des siècles, l’humanité a « pensé petitement », suivant l’expression de Nietzche. Elle pensait alors aussi étroitement au point de vue moral qu’au point de vue scientifique. Sa pensée s’est élargie simultanément au point de vue scientifique et au point de vue moral.

  1. Voir sur ce point Guyau, les Problèmes de l’Esthétique contemporaine (Paris, F. Alcan).