Aller au contenu

Page:Palante - Précis de sociologie, 1901.djvu/91

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Nous l’avons dit plus haut. La solidarité est par elle-même indifférente et amorale. Elle peut être, suivant son but et ses effets, juste et bonne ou criminelle et malfaisante. Au point de vue d’une exacte psychologie sociale, la solidarité n’est rien autre chose qu’un égoïsme à plusieurs, une intensification et une exacerbation des égoïsmes individuels. Les rancunes de classe et de corps sont cent fois plus aveugles, plus tenaces et plus implacables que les rancunes individuelles. L’esprit de solidarité est essentiellement anti-individualiste, il se défie de toute individualité qui tranche un peu sur la teinte grise des moyennes. Un homme n’a pas besoin d’être supérieur pour être haï. On ne lui pardonnera pas d’être différent, original.

L’esprit de solidarité hait les apathiques et les délicats qui restent étrangers aux intérêts et aux petites intrigues du groupe. Il préfère les intrigants, les combatifs, ceux qui se mettent en vue. On comprend les persécutions que Rousseau essuya, étant donné sa tournure d’esprit qu’il a lui-même décrite. « Je me trouve naturellement soumis, dit-il, à ce grand précepte de morale, mais destructif de tout l’ordre social, de ne jamais me mettre en situation à pouvoir trouver mon avantage dans le mal d’autrui. Celui qui veut suivre ce précepte à la rigueur n’a point d’autre moyen pour cela que de se retirer tout à fait de la société, et celui qui en vit séparé suit par cela seul ce précepte sans avoir besoin d’y songer[1]. » C’est pour avoir pratiqué ce précepte que Rousseau fut haï. Et quand il s’en plaignit et protesta, la société ne s’embarrassa pas pour si peu. Elle cria au délire de la persécution !

Autant que les apathiques l’esprit de solidarité hait les esprits critiques. Car ils ne se plient pas aux obligatoires mots d’ordre.

L’Esprit de solidarité est essentiellement conser-

  1. Rousseau, Dialogues, Dialogue II.