Page:Papineau - Aux honorables chevaliers, citoyens et bourgeois, les Communes du Royaume-Uni de la Grande Bretagne et d'Irlande, assemblées en Parlement, 1834.djvu/2

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lement que la défectuosité la plus sérieuse de l’Acte de la 31me George III, chapitre 31, la cause la plus active d’abus de pouvoir, d’infraction des lois, de dilapidation du revenu et du domaine publics, se trouvait dans la disposition injudicieuse, dont les résultats furent prévus, dans le tems, par l’un des hommes publics dont l’Angleterre s’honore le plus, savoir : celle qui donne à la Couronne le pouvoir exorbitant, incompatible avec tout Gouvernement tempéré et basé sur la loi et la justice et non sur la force et la coercition, de choisir et composer sans règles, sans limites, sans qualifications prédéterminées, toute une branche de la Législature, réputée indépendante par la nature de ses attributions, mais inévitablement asservie à l’autorité qui la choisit, la compose, la décompose, la peut modifier chaque jour au gré de ses intérêts ou de ses passions du moment ; pouvoir illimité dont l’abus est inséparable de l’usage, et qui de fait a toujours été exercé en cette Province dans l’intérêt du monopole, et du despotisme exécutif et judiciaire, et jamais en vue de l’intérêt général : cette Chambre d’ailleurs expose comme sa ferme conviction, que même en supposant que les Administrations Coloniales eussent réussi par de meilleurs choix à calmer les alarmes et à assoupir pour un tems de profonds mécontentemens, cette forme de Gouvernement n’en est pas moins essentiellement vicieuse, qui fait dépendre le bonheur ou le malheur d’un Pays, d’un Exécutif sur lequel il n’a aucune influence, et qui n’y a aucun intérêt commun ni permanent.

Le remède efficace à ce mal avait déjà été pressenti par Votre Honorable Comité, lorsqu’on y demandait à l’un des Agens du Peuple de cette Province, s’il pensait que le Conseil Législatif pût commander la confiance et les respects du Peuple, ou être en harmonie avec la Chambre d’Assemblée, à moins que, d’une manière ou d’une autre, on y introduisît le principe d’Élection ; sur quoi deux moyens furent indiqués par le dit Agent, l’un de faire de bons choix par la prérogative royale, en appelant à ce corps des personnes indépendantes de l’exécutif, et l’autre de rendre le corps électif.

Cette Chambre croit, avec le même Agent du Peuple, qu’à en juger par l’expérience, il n’y aurait aucune sûreté dans le premier de ces modes, tandis que le second serait sûr pour toutes les parties ; mais quant aux suggestions, faites par le dit Agent, d’avoir des Électeurs d’une qualification plus élevée et de déterminer la qualification foncière des personnes qui pourraient siéger dans le Conseil, cette Chambre a depuis, dans son humble Adresse à Sa Très Gracieuse Majesté, en date du vingt de Mars, mil-huit-cent-trente-trois, déclaré comment, dans son opinion, ce principe pouvait être admissible en Canada, en le restreignant dans des limites définies qu’il ne faudrait en aucun cas dépasser ; même en précisant ces limites et en consentant à voir attacher à l’éligibilité au Conseil Législatif une qualification foncière, qui très heureusement et très sagement n’est pas requise pour l’éligibilité à la Chambre d’Assemblée, cette Chambre n’a pu avoir en vue que de ménager les opinions reçues en Europe, où la loi et les mœurs donnent de grands priviléges et avantages artificiels à la naissance, au rang et à la fortune, tandis qu’en Amérique ces privilèges et avantages introduits dans l’ordre public, en faveur de la grande propriété, ne pourraient se soutenir longtems contre la préférence donnée aux vertus, aux talens et aux lumières, dans des élections libres, et contre une pauvreté honnête, contente et dévouée, que dans le système électif, la société doit avoir le droit de consacrer au service de la Patrie, lorsqu’elle l’y juge plus propre que la richesse, qui n’exclut pas les autres avantages, mais qui ne les accompagne pas toujours.

Nous ne sommes donc nullement disposés à admettre l’excellence du système actuel de constitution du Canada, quoique par une Dépêche dont la date ne nous est pas connue, et dont partie seulement a été communiquée à cette Chambre durant la présente Session, le Secrétaire d’État de Sa Majesté pour le Département Colonial (cette Chambre ne sachant pas si c’est le Secrétaire Colonial actuel ou son prédécesseur) allègue mal à propos et très erronément, que ce système a conféré aux deux Canadas les institutions de la Grande Bretagne ; nous ne repoussons nullement le principe d’étendre beaucoup plus loin qu’il ne l’est aujourd’hui, l’avantage d’un système d’élections fréquentes, mais nous pensons qu’en particulier ce système devrait être appliqué au Conseil Législatif, quoiqu’il puisse être regardé par le Secrétaire Colonial, comme incompatible avec le Gouvernement Britannique, appelé par lui Gouvernement Monarchique, ou comme trop analogue aux institutions que se sont données les divers États qui composent l’industrieuse, morale et prospère confédération des États-Unis d’Amérique. Nous différons également d’avec le même haut fonctionnaire public, lorsqu’il dit qu’un examen de la composition du Conseil Législatif, à l’époque où elle fut si justement censurée par le Comité de Votre Honorable Chambre, et dans le tems actuel, montrera suffisamment dans quel esprit le Gouvernement de Sa Majesté s’est efforcé d’accomplir les désirs du Parlement, quoique nous recevions avec reconnaissance cette assurance des intentions justes et bienveillantes avec lesquelles, en exécution de son devoir, le Gouvernement de Sa Majesté a souhaité accomplir ces désirs.

Votre Honorable Chambre ne peut, sans doute, trouver convenable qu’on impose, sous la forme de Conseil Législatif, une Aristocratie à un Pays, où il n’y a aucuns matériaux naturels à son existence ; elle pensera sans doute plutôt, nous osons l’espérer, que le Parlement du Royaume-Uni, en accordant aux Sujets Canadiens de Sa Majesté le pouvoir de réviser la Constitution dont ils tiennent leurs droits les plus chers, montrerait une politique libérale, indépendante de la considération d’intérêts antérieurs et de préjugés existans, et que par cette mesure d’une vaste, mais sage libéralité, il entrerait dans une noble rivalité avec les États-Unis d’Amérique ; empêcherait que les Sujets de Sa Majesté en Canada eussent rien à leur envier, et conserverait des relations amicales avec cette Province comme Colonie, tant