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Aux désordres dont lord Durham a déroulé l’interminable tableau, aux désordres plus nombreux et plus graves qu’il n’a pas même indiqués, quelle digue prétend-il opposer ? Il signale ce que la liberté a produit de bien chez les Américains indépendants, ce que le despotisme a produit de maux chez les Américains anglais ; il prouve l’impossibilité de la prolongation du gouvernement du Canada par l’Angleterre, et il conclut au maintien de cet état de choses. Quelle fatale inconséquence !

Je montrerai dans un prochain article combien sont injustes les griefs de lord Durham contre le Canada.

C’est pourtant de ces prétendus griefs que découle la grande, la seule mesure de réforme législative que recommande Lord Durham : l’absorption de la population française par la population anglaise au moyen de l’union des deux Canadas. C’est cette mesure qui avait été arrêtée en 1808 par les monopoleurs du commerce des pelleteries, au moment où ils perdirent la majorité dont ils avaient disposé jusqu’alors.

Depuis cette époque, et durant trente années, un gouvernement prétendu constitutionnel, s’appuyant sur des minorités, s’est constitué en hostilité permanente contre la majorité des représentans, qui, après les deux dernières élections générales, étaient dans l’une des assemblées de soixante-dix-huit contre huit, et de quatre-vingts contre dix dans l’autre. Des membres composant la minorité un seul était né dans la province.

Au moment de leurs élections, ces majorités avaient reçu de leurs commettans le mandat d’insister sur un changement organique dans les institutions, et de demander que la seconde chambre fut élective, cette réclamation unanime, lord Durham l’a rejetée avec le même dédain que les tories ses prédécesseurs. Ce que vous demandez, dit-il, nous le refusons. Mais nous sommes bienveillants et nous voulons que vous soyez contens de ce que nous déciderons vous convenir. La race saxonne est bien plus propre à gouverner que vous ne pouvez l’être vous même. Dans le Haut-Canada, elle est criblée de dettes : vous n’en avez point. Eh bien ! nous allons former une grande et belle province qui ne devra plus rien, après le mélange du plein et du vide. Vous aurez alors un vice-roi, et à son titre de reine du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, notre gracieuse souveraine ajoutera : et de l’Amérique-Britannique-Septentrionale. Abjurez une étroite nationalité. Revêtez-en une plus grande et plus noble. Quittez votre nom de Canadiens, et prenez celui de Bretons de l’Amérique-Septentrionale.

Hélas ! si notre premier nom, effacé par acte du parlement, était trop court, celui qui le remplace n’est-il pas trop long ? et celui d’Américains indépendans n’est-il pas dans de plus justes proportions ?

Un récit historique, impartial et succinct des événements qui se sont passés dans mon pays pendant les deux dernières années portera dans tous les esprits cette conviction que ce ne sont pas les statuts anglais qui règleront le prochain avenir du Canada ; mais que cet avenir est écrit dans les déclarations des droits de l’homme et dans les constitutions politiques que se sont données nos bons, sages et heureux voisins, les Américains indépendants.

Ceux-ci savent bien, d’ailleurs, que leur révolution n’est pas encore entièrement terminée. Dans l’opinion de leurs hommes d’États, elle ne le sera que le jour où l’Union n’aura plus pour voisine une puissance qui, depuis le Traité de 1783, n’a cessé, même en pleine paix, d’intriguer pour amener le démembrement de la confédération ; puissance inquiète qui a suscité les guerres indiennes, les a perfidement alimentées par des distributions d’armes et de vivres aux tribus belligérantes ; et s’est maintenue dans l’occupation violente de certaines portions du territoire, bien qu’aux termes des traités, ces portions envahies eussent dû être, long-temps avant ce jour, restituées aux Américains ; puissance ambitieuse, enfin, qui ne conserve plus la possession des Canadas dans des vues légitimes de commerce et de colonisation, mais comme un poste militaire, d’où elle se prépare à fondre sur la confédération américaine, pour y porter le trouble, la division et la ruine !

Louis Papineau.