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LE ROMAN DES QUATRE

Son compagnon se fâcha.

— Il n’y a rien de drôle dans ça, dit-il ; songe à notre pauvre Germain !

Puis il reprit :

— Supposons…

— Non, non, ne supposons plus, je t’en prie, tu me donnes la colique.

— Eh bien ! non, continua Elzébert fâché dur, je ne supposerai plus, car ce que je dis c’est vrai, j’en suis sûr : l’associé de Germain avait, comme on dit, passé avec notre ami défunt un contrat « au dernier vivant les biens ». Qu’en penses-tu ?

— Je pense que ton hypothèse est plausible. Vaut aussi bien prendre celle-ci qu’une autre. Alors, pour le moment ce qu’il s’agit…

Paul s’interrompit et continua plus bas :

— Elzébert, sans faire semblant de rien, regarde du côté droit… Tu vas voir un homme qui nous épie depuis quelques minutes.

Elzébert regarda…

— En effet, Paul, dit-il, je crois que tu as raison. Que peut-il nous vouloir ?

— La situation se corse.

— Tu le vois, je crois que j’ai raison de penser qu’il y a une mine d’or et peut-être des millions en dessous de tout cela.

— Je commence à croire la même chose, moi aussi. Mais je me le demande, moi aussi, que peut-il nous vouloir ?

— Il nous a suivis depuis notre départ de l’Ontario ; peut-être qu’il se doute que nous cherchons le meurtrier de Germain Lafond. C’est sans doute un lieutenant de l’assassin.

— Il est habillé comme nous, en lumberjack.

En effet, l’homme que Paul et Elzébert accusaient d’espionnage, était vêtu de bottes « bâtardes », de culottes bouffantes kaki, d’une blouse bleu marine et d’un feutre mou d’indécise couleur.

— C’est drôle, dit soudain Durand, il me semble avoir déjà vu cette tête-là quelque part.

— Moi de même.

— Mais où ?

— Je ne saurais le dire. J’ai beau me creuser la cervelle, je ne réussis pas à préciser mon souvenir.

Elzébert Mouton se leva alors et dit à son compagnon :

— Regarde et écoute : tu vas voir un grand coup d’audace s’accomplir.

Il se dirigea d’un pas décidé vers l’inconnu aux bottes « bâtardes », se planta devant lui, s’inclina et lui dit fort aimablement :

— Mon cher monsieur, mon ami et moi, nous avons remarqué que vous nous portiez un certain intérêt, puisque vous nous contemplez depuis assez longtemps déjà. Alors, comme vous nous intéressez, vous aussi, nous sommes heureux de vous inviter par la présente à venir prendre quelques verres de bière avec nous.

L’inconnu regarda Elzébert, se leva et sans dire un seul mot, quitta la taverne en refermant prudemment la porte.

Elzébert Mouton le regardait faire bouche bée. Quand il fut sorti Elzébert Mouton dit à son compagnon :

— En voilà un drôle de pistolet !…

Tout le monde dans la taverne éclata de rire.

L’un des commis de la taverne se dirigea vers Durand et Mouton.

— Un télégramme pour vous Monsieur Elzébert Mouton, dit-il.

— Un télégramme pour moi ! s’exclama-t-il. Pas possible !

Il demanda au commis.

— Qui vous a remis cela ?

— C’est un garçon du télégraphe.

— Mais comment savez-vous mon nom, vous ?

— C’est le garçon qui vous a indiqué du doigt comme étant Monsieur Elzébert Mouton.

— Mais je ne savais pas, que diable ! que j’étais connu des messagers de télégraphe de Montréal.

Le commis s’éloigna.

— C’est louche, mon vieux Paul, c’est absolument louche.

— Quant à moi, je ne connais pas une paire d’yeux de prohibitionniste qui louchent plus que ça devant une bonne bouteille de scotch.

Elzébert allait ouvrir l’enveloppe, quand son compagnon l’arrêta.

— Prends garde ! si c’était quelque bombe explosive qu’il y eut dans ça !

— Es-tu fou, Paul ? Un explosif dans une enveloppe ? Mais il serait tellement petit qu’il ne pourrait tuer une punaise.

Il déchira l’enveloppe et lut :

— Diable, dit-il, on y va rudement.

— Qu’y a-t-il ? Qu’y a-t-il ?

— Tiens, lis !