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LE ROMAN DES QUATRE

parue dans le numéro de la « Nation » du samedi matin, était brève, elle s’adressait cette fois à la population en général :

« Samedi, à onze heures et demie, Lafond sera remis en liberté. Enfin, Landry a décidé de capituler.

HENRI MORIN. »


On se rappelle les circonstances qui entourèrent la mise en liberté du jeune ingénieur et l’enthousiasme qui saisit la foule à cet instant. Morin et Lafond furent ovationnés et je puis affirmer sans crainte de me tromper qu’en ce moment, le financier, inconnu quelques semaines plus tôt, s’éleva au pinacle de la popularité.

Qu’on me permette un dernier emprunt aux colonnes de « Monde » dont l’extra était attendu avec anxiété par la foule exubérante.


IX


(Extrait du « Monde », extra du samedi)
GERMAIN LAFOND EST RETROUVÉ !


Comme le « Monde » a été le seul quotidien français de Montréal à le soutenir et ce, en dépit de la mauvaise volonté et des injures d’un hargneux confrère, Germain Lafond est bel et bien vivant.

C’est ce matin, à onze heures et demie, comme l’avait annoncé avec une merveilleuse précision Monsieur Morin, que notre intrépide compatriote a été rendu à l’affection de la gracieuse Pénélope qui, depuis trois ans, attendait son retour avec une foi inébranlable.

À onze heures et demie, comme nous venons de le dire, le constable en charge de la surveillance du Champ de Mars, où tous les hommes d’affaires laissent leurs autos durant leurs heures de bureaux, crut percevoir des plaintes venant d’un taxi « Feuille d’Érable » que l’on venait d’y laisser.

Le constable, qui n’avait pas encore remarqué ce taxi, et ne pouvait s’expliquer comment il avait été remisé hors de sa connaissance, s’en approcha et, à sa grande surprise, il découvrit, à l’intérieur, un homme qui paraissait endormi.

C’était Germain Lafond…

Avant d’abandonner leur victime, les bandits l’avaient chloroformée. La foule ne tarda pas à se réunir autour de l’auto et on eut besoin d’un renfort de constables pour éloigner les curieux.

Il s’écoula près d’un quart d’heure avant que l’ingénieur eût complètement repris connaissance et la première figure amie qu’il reconnut dans la foule qui l’entourait fut celle du brave Morin, ce remarquable financier que sa fidèle amitié pour l’ingénieur avait conduit comme par intuition sur le théâtre où allait se produire le coup de théâtre qui devait clore ce drame auquel il avait été si intimement mêlé et dont il avait provoqué le dénouement avec une telle maîtrise.

La scène pathétique qui suivit attira des larmes à la foule innombrable qui encombrait la place… »

En première page de tous les extras de ce jour et des numéros réguliers de tous les journaux du lundi suivant, se lisait la lettre suivante, la dernière communication de Morin à Landry :


« Mon pauvre Landry,

« Enfin tu t’y es laissé prendre, mes menaces ont atteint leur but. Laisse-moi te le dire, tu es plus imbécile encore que je ne l’aurais jamais imaginé. Tu es tombé dans le panneau, tu as délivré Lafond, tu t’es départi du précieux otage que tu détenais et que je t’aurais racheté à n’importe quel prix. Ganache ! Devant mes menaces, en face de ma puissance, si tu avais été réellement un homme fort, tu te serais cambré et j’aurais été réduit à composer avec toi. Mais tu as perdu la tête, ta conscience scélérate s’est effrayée et toi qui comptes pour si peu la vie des autres, tu fus pris de panique devant les dangers qui s’amoncelaient contre ta propre vie et pour sauver ta pitoyable existence, tu as abandonné la partie en lâche que tu es. Quoiqu’il m’en coûte de sacrifier ma vengeance, je tiens parole, va te faire pendre ailleurs !

« Adieu, ne te trouve jamais sur mon chemin, car alors, je t’écraserai sans pitié.

HENRI MORIN. »


Tout le monde connaît ce qui précède, tout le monde sait également que le même jour où Lafond était découvert inconscient dans une auto, sur le Champ de Mars, on découvrait Mouton dans un bar de la rue Saint-Paul, saoul comme trois Polonais, et ne se rappelant rien des événements qui s’étaient produits depuis le jour de son enlèvement.

Le dénouement tel que produit satisfaisait pleinement la logique populaire, en travail depuis si longtemps. Ce qu’il fallait au peuple, après cette longue attente, c’était une so-