Page:Paquin, Huot, Féron, Larivière - La digue dorée, 1927.djvu/70

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
68
LE ROMAN DES QUATRE

nion, les fiancés auraient trouvé ma présence inopportune ; mais soudain, une voix joviale se fit entendre du seuil de mon bureau :

— Bonjour Notaire. Vous avez fait un bon voyage ?

— Comment ? C’est vous, le fameux Morin ?

— Mais oui, c’est moi, votre voisin de campagne.

— C’est vous ?

— Mais oui ! Qu’est-ce qu’il y a d’extraordinaire à cela ? Mais oui, mon ami, c’est moi qui ai roulé Landry !  !  !

— Moi qui croyais avoir pénétré à fond le mystère, je vous avoue que je ne me serais jamais imaginé que vous y étiez mêlé. Et pourtant, votre nom…

— Que dites-vous ? Vous avez pénétré le mystère ? Que voulez-vous dire ?

— Que j’ai trouvé le mot de l’énigme, le fameux mot qui explique tant de choses qui autrement seraient inexplicables.

— Et ce mot, c’est ?

— Tenez, sur le buvard de mon pupitre, il y a cinq jours qu’il y est écrit. Le Directeur de la Police est même venu visiter mon bureau, a dû nécessairement lire ce mot banal et n’a pas compris qu’il donnait la solution du problème qu’il désirait résoudre.

Mon voisin se pencha et sur mon buvard, il lut : « PUBLICITÉ »…

— C’est bien vrai, vous avez deviné… Germain ! Germain !

Avant même que l’ingénieur ne soit pénétré dans mon bureau, je lui demandais en riant :

— Dites-moi, Monsieur Lafond, la truite mord-elle encore ?

— Comment, Notaire, vous saviez ?

— Je vous avoue que ce n’est pas sans difficulté que je suis parvenu à ce résultat et même, si je n’y avais pas été lié si intimement à cette affaire, peut-être ne me serais-je pas imposé les quelques heures de réflexion concentrée qui ont fait jaillir la lumière en mon cerveau ; mais lorsqu’à la suite de ma quasi-arrestation, je me trouvais en face du brûlant dilemme : ou vous étiez des escrocs et en acceptant votre argent, vous faisiez de moi votre complice, ou vous étiez d’honnêtes gens et dans ce cas, il me fallait apporter à ma propre conscience la justification de votre conduite, alors, dis-je, je réalisai qu’il fallait sortir de ce dilemme et que le meilleur moyen était encore la réflexion. Il serait trop long de vous expliquer à la suite de quelles déductions j’en suis venu à la certitude absolue que toute l’affaire Lafond n’était qu’une comédie savamment organisée et pourquoi je conciliai que tout le bruit fait autour de votre mine et votre personne n’était qu’une série de réclames combinées de main de maître et obtenues sans bourse délier. Qu’il me suffise de vous dire que deux circonstances surtout ont attiré mon attention : La délivrance de Mademoiselle Chevrier, rue Cadieux et votre fameux message aérien, Lafond, ne me semblaient pas très naturels. Rue Cadieux, les gardiens de Mademoiselle semblaient s’être donné le mot pour ne se présenter qu’un par un devant les sauveteurs et puis, dans une maison où l’on veut séquestrer quelqu’un, on n’ouvre pas la porte au premier venu comme on l’avait fait à Mouton et Durand. Quant à votre message, Monsieur Lafond, il me semblait terriblement vague, venant de vous, un habitué de la ville. Je sais bien que si je m’étais trouvé à votre place, j’aurais pu indiquer à quelques cinquante pieds près en quel endroit je me trouvais. À plus forte raison vous, un ingénieur, habitué par devoir professionnel à avoir, comme on le dit, « le compas dans l’œil », si vous ne donniez que d’aussi vagues renseignements, c’était que vous vouliez, non pas être repéré, mais exciter l’ardeur de ceux qui étaient à votre recherche par des indications vagues.

— Vous avez parfaitement raison, Notaire, et je vous avouerai que je n’ai jamais été séquestré dans le grenier que l’on a désigné dans l’article du « Monde ».

— J’en avais moi-même la quasi certitude. Cette rose des vents, que le reporter considérait comme indication de votre passage dans ce grenier était pour moi une preuve certaine que l’on faisait fausse route. En effet, alors, ou vous auriez su où l’on allait vous conduire et alors, vous n’auriez pas manqué de donner une indication précise de l’endroit qui allait devenir votre nouvelle prison ; ou, plus probablement, on se serait bien gardé de vous révéler l’endroit où on allait vous conduire et alors pourquoi auriez vous dessiné cette rose des vents ? D’ailleurs, depuis le commencement de cette affaire, je constatais le soin que chaque personnage prenait à mettre en évidence la richesse de la mine découverte par notre ami. Dès le jour de ma mise sous surveillance, j’ai eu la compréhension entière du stratagème hardi dont vous usiez pour obtenir une publicité gratuite et effective : mais je croyais alors que mon mystérieux compagnon de pêche était Monsieur Morin et ce n’est que lors de la visite que Mademoiselle me fit, mercredi dernier, qu’en comparant la