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LE ROMAN DES QUATRE

— Je ne trouve pas.

— Ça manque de piquant. Sais-tu ce que nous devrions faire avant le dîner ?

— Avec toi on ne sait jamais.

— Essayer nos bras.

— Tu es fou !

— Non. On va aller dans un bar, le plus « tough » qu’on pourra trouver, tu vas engendrer une chicane et je vais la terminer.

— Ça ne me sourit pas du tout.

Durand eut beau insister, Elzébert ne se sentait pas d’humeur belliqueuse. Il se sentait moins à son aise dans une grande ville policée, où il y a des agents de la paix, des tribunaux et des juges, que dans le pays mi-sauvage, mi-civilisé où la force brutale est un atout des plus importants.

Force fut donc à Paul Durand de refréner ses goûts de matamore et de continuer de déambuler bien prosaïquement par les rues de la vieille capitale.

De retour à l’hôtel, il se recommanda un dîner des plus copieux arrosé de libations non moins copieuses, régla avec le marchand de fourrures les différents détails de sa vente, empocha le chèque qui s’élevait à $11,500, passa l’après-midi avec son frère à lui raconter tous ses faits et gestes depuis leur dernière rencontre, écouta ses inévitables admonestations, descendit en compagnie d’Elzébert passer la soirée dans un bar de St-Sauveur où, chose étonnante, il n’engagea chicane à personne, remonta à sa chambre et se coucha, bien décidé, avant de s’endormir, à reprendre le train de Montréal dès le lendemain.

Ce qu’il fit après la visite chez le tailleur, à la banque, et quelques commissions accomplies çà et là.


DEUXIÈME PARTIE
LE CHÈQUE MYSTÉRIEUX
Par Alexandre Huot

I


Le visage merveilleusement beau de Jeannette Chevrier laissait voir les traces de la plus grande perturbation.

La jeune fille se promenait de long en large dans la pièce et semblait plongée dans l’agitation la plus fébrile.

Soudain elle s’arrêta devant le portrait encadré de Germain Lafond suspendu au mur, le regarda longuement et éclata en sanglots.

La crise de larmes fut de courte durée.

Elle s’essuya les yeux et se mit à parler à elle-même :

— Je n’y comprends rien, rien de rien, dit-elle. Pourquoi cet inconnu m’envoie-t-il une aussi considérable somme d’argent ? La lettre qui accompagne le chèque est un mystère indéchiffrable.

Jeannette prit le chèque sur une petite table et le considéra. Elle lut :

« Banque Canadienne Nationale »

« Payez à l’ordre de Mademoiselle Jeannette Chevrier la somme de vingt-sept mille Piastres — $27,000.00.

Henri Morin. »

— Quel est cet Henri Morin et pour quelle raison m’envoie-t-il cette somme d’argent ?

Elle, reprit la lettre que le chèque accompagnait et lut :

« Chère Mademoiselle »,

« Je vous envoie un chèque de $27,000.00. En faisant cela je vous surprendrai énormément. Je ne puis actuellement vous dire les raisons qui guident ma conduite. Mais acceptez le chèque et je vous en serai éternellement reconnaissant…

Henri Morin. »

Le chèque était tiré sur une succursale de Québec de la Banque Canadienne Nationale.

Jeannette Chevrier décida de faire elle-même une enquête et de se rendre à la succursale de la Banque qui devrait payer le chèque.

Dès le lendemain elle était à Québec.

Le gérant la reçut tout naturellement avec une grande affabilité, car n’était-elle pas très jolie ?

— Monsieur, dit-elle après lui avoir lu la mystérieuse missive et lui avoir fait voir le chèque qui l’accompagnait, pourrais-je savoir si quelqu’un ici connaît cet être étrange, cet Henri Morin qui m’a envoyé cette énorme somme d’argent ?

Le gérant regarda la jeune fille avec admiration ; on pouvait discerner un brin de flirt dans le brillant de ses yeux. Puis son front se plissa, il devint soucieux.

— Les règlements de la banque ne me permettent guère d’exaucer votre demande.

Je vous prie, Monsieur, vous me rendriez un si grand service…

Et la voix de Jeannette avait une douce câlinerie veloutée. Sur sa figure, dans le creux de ses deux admirables fossettes, il errait un sourire fin, irrésistible.

— Comment vous dire non, mademoiselle ? Vous remportez la victoire…