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LE ROMAN DES QUATRE

Et Paul lut :

« À Elzébert Mouton et à Paul Durand : Avis est donné que vous serez assassinés après demain soir, à minuit, si vous n’avez pas alors définitivement quitté la ville de Montréal.

« Avis vous est de même donné de ne point au grand jamais vous mêler le nez dans les affaires du défunt Germain Lafond, car vous irez alors, et presto, rejoindre vos dignes ancêtres dans le cimetière, sans avoir eu le temps de faire votre testament. »

La Ligue Dorée.


— J’en ai la chair de poule, moi ! fit Durand.

— Moi, je n’en ai même pas la chair de coq. Ces gens-là ont peur de nous et veulent nous effrayer, voilà tout. Il faut que nous quittions Montréal dans leur intérêt. Eh bien ! nous allons y demeurer dans le nôtre et dans celui de Germain Lafond. Ils signent « La Ligue Dorée »… « dorée », de l’or… une mine d’or… N’est-ce pas que ma supposition avait du bon sens ?

— Et moi, tu sais, j’ai peur, je ne te le cache point !

— Bah ! tu n’auras plus peur demain matin. Allons nous coucher !

Les deux compagnons sortirent.

Comme ils passaient à un endroit très sombre de la rue Craig, Paul Durand sentit quelqu’un le serrer assez fort au bras. Il se retourna brusquement. L’inconnu était déjà disparu.

Il regarda à son bras…

Un papier y était épinglé.

Il s’avança près d’un réverbère et lut tout haut, de façon à ce que Elzébert entende :

« Dernier avis : si vous êtes demain soir à Montréal, vous mourrez. »

La Ligue Dorée.


À ce moment, ils entendirent quelqu’un derrière eux leur chuchoter :

— N’ayez aucune crainte… espérez ! Espérez une grande joie… Une grande joie infinie vous attend !

Une peur folle s’empara d’Elzébert et de Paul Durand. Ils prirent leurs jambes à leur cou et coururent, coururent, à la recherche de lumières éblouissantes, de bruits, de foule, de mouvement, d’oubli…


III


Les deux fenêtres de la chambre étaient prudemment habillées de leurs stores. Un gilet posé sur la poignée de la porte cachait le trou de la serrure, empêchant tout curieux de voir de dehors ce qui se passait à l’intérieur.

Paul Durand s’étira en bâillant, dans l’un des deux lits. Puis il se leva d’un bond et alla secouer Elzébert Mouton.

L’autre marmotta des paroles peu ecclésiastiques.

— Voyons ! voyons ! Elzébert, fit Paul, éveille-toi ! Il nous faut déguerpir, quitter Montréal aujourd’hui à tout prix. Sinon, il y va de notre vie. Moi, tu sais, je ne suis pas encore prêt à vendre ma peau au diable.

Elzébert se leva à son tour silencieusement, et alla lever un des stores.

— Non, non, ne fais pas ça, mon vieux, un ennemi peut nous voir du dehors et nous tuer d’une balle dans la tête. Tu te rappelles la campagne d’un nommé Milette contre les Francs-maçons à Montréal, il y a quelques années ; Millette a failli être tué comme ça. Baisse-moi ce store !

— Comme tu voudras, mon vieux. Mais laisse-moi te dire que tu es fou, idiot, à lier comme du foin prêt à mettre en bottes. Personne ne veut nous tuer, c’est une farce, un attrape-nigaud. J’ai honte d’avoir eu peur et d’avoir fui hier soir. Moi, je reste à Montréal. Toi, fais ce que tu voudras. Mais je ne te comprends pas, tu as vu des ours, tu as déjà lutté avec l’un d’eux, et tu as failli être attaqué par un orignal en rut après que j’eus imité le vagissement de la femelle, et tu as eu peur d’un homme, d’un inconnu ? C’est inconcevable !

— C’est parce qu’il est inconnu que je le crains.

— Eh bien ! nous allons le forcer à se faire connaître.

À ce moment quelqu’un frappait dans la porte.

Paul Durand sursauta.

— Ne va pas ouvrir ! Ne va pas ouvrir ! chuchota-t-il. Si c’était quelque ennemi ! Il pourrait nous abattre, là, de deux coups de revolver.

— Va donc ! poule mouillée. Cache-toi sous le lit, si tu as peur. J’ouvre.

Durand se recroquevilla dans un coin aussi loin que possible de la porte.