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LE ROMAN DES QUATRE

sa main frêle et délicate dans la main robuste et calleuse qui vers elle se tendait depuis un moment avec amour…

— Oui, murmura-t-elle comme en un soupir, je serai à vous, Elzébert, à vous pour toujours, pour toujours, pour tou…


III


Une longue et délicieuse extase enveloppa ces amoureux qui venaient d’échanger une promesse solennelle.

— Oh ! balbutiait Jeannette délirante de joie, il avait donc dit vrai ce mystérieux inconnu… « qu’une joie infinie nous attendait ! »

— Oui, bégayait Elzébert, non moins ivre, cet homme était peut-être notre ange gardien !

Tout à coup le bruit d’une porte qu’on ouvre discrètement les tira brusquement de leur rêve.

Mme Chénier entrait, souriante, clignant de l’œil avec un air entendu, comme pour signifier qu’elle savait de quoi il s’agissait et que point n’était besoin ni de se gêner ni de s’effaroucher, du moment qu’on ne faisait pas de mal et que c’était une affaire entre fiancés, affaire qui, à cette étape, est presque une affaire d’époux.

Elle approchait tenant en sa main une lettre.

— C’est pour vous, Monsieur Elzébert ! annonça-t-elle.

— Pour moi ! fit le trappeur en tressaillant.

Il prit cette lettre qu’il considéra curieusement. La souscription avait été tracée en caractère de dactylotype, et de la façon suivante :


Monsieur Elzébert Mouton,

2112, rue Saint-Denis,
aux soins de Mme Chénier.

Mais dans un angle on avait écrit en rouge : « Urgent ».

Déjà Mme Chénier, femme discrète et suave entre toutes, se retirait refermant doucement la porte sur elle.

Elzébert regarda la jeune fille souriante et prononça :

— Vous permettez, Jeannette ?

Sa jolie tête donna l’assentiment requis.

Elzébert brisa l’enveloppe d’une main mal sûre, tira une feuille de papier également imprimée au dactylotype, et lut, non sans pâlir un peu trop fort :


Cher Monsieur,

Vous apprenons que vous n’avez pas encore déguerpi de Montréal. Il est quatre heures de l’après-midi… Rappelez-vous l’avis que nous vous avons donné ! À huit heures, ce soir, si vous êtes encore en cette ville, votre peau ne vaudra pas celle d’un chat. Et rappelez-vous aussi ce qui est arrivé à votre ami Durand ! Ceci vous confirmera cette vérité : qu’il en coûte toujours et souvent fort cher aux imbéciles qui tentent de se mêler d’affaires qui ne les regardent pas !

Dernier avis et… salut bien !

La Ligue Dorée.

Il était temps que cette lecture prit fin, car Elzébert défaillait, même qu’il échappa cette lettre que, rapidement, Jeannette ramassa, disant :

— Alors… ça doit me concerner aussi ? bégaya-t-elle dans son inquiétude.

Et sous les regards penauds d’Elzébert elle parcourut du regard la lettre mystérieuse.

Quand elle eut achevé, elle ébaucha un geste tragique, jeta une exclamation d’effroi et de douleur en même temps, porta la main à son cœur et chancela…

Déjà Elzébert avait tendu ses bras…

— Non, non, ma chérie, il ne faut pas vous effrayer outre mesure !

— Mais on vous commande de partir !

— Je partirai, s’il faut ! soupira Elzébert, le cœur gros.

— Et moi… moi, malheureuse, allez-vous sitôt me délaisser ?

— Jamais. Vous partirez avec moi !

— Mais… qu’est-ce qu’on dira d’une jeune fille…

— On dira seulement que nous sommes fiancés et que nous allons nous épouser à Québec… C’est simple !

— Hein ! à Québec ?

— Sans doute. Est-ce que ça ne vous va pas ?

Mais oui ! mais oui !… Oh ! là, à Québec, nous serons en sûreté !

— Oui, car ici je vous crois environnés d’ennemis puissants et implacables, dit Elzébert afin de mieux accommoder sa peur.

— Hélas ! des ennemis sans pitié, murmura Jeannette, j’en ai bien eu la preuve ! Partons donc ! Mais, au fait, quel convoi prendrons-nous ?

— Mieux que le convoi, sourit Elzébert, nous prendrons le bateau ce soir et serons à Québec demain matin.