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LE ROMAN DES QUATRE

jets canailles. Mais pourquoi tout ce trouble ? Pourquoi, à la lecture de ma lettre, avoir changé Lafond de cachette ? Crois-tu pouvoir réussir à m’empêcher de te démasquer ? Enfant !… Puisque je te dis que je suis au courant de tous tes pas et démarches depuis plus de trois mois ! Tu en doutes ? Veux-tu des preuves ? Hier, à sept heures trente tu as soupé au restaurant d’un club fashionable du centre de la ville, tu as serré la main d’une demi-douzaine d’hommes d’affaires qui étaient à cent lieues de se douter que tu n’es qu’un bandit… Tu as tes appartements à l’hôtel… non, il n’est pas encore temps de te livrer à la vindicte publique. Veux-tu que je te décrive l’endroit où tu caches Lafond ? Un entrepôt du bas de la ville, dix pieds par douze, à peu près, aucune fenêtre, éclairé par une simple ampoule électrique appendue au plafond. Ameublement : deux chaises, une petite table et un lit de camp, le tout acheté chez un regrattier de la rue Craig. À la porte se tient continuellement un de tes suppôts. Tu fais relever cet homme de trois heures en trois heures… Tu crois ton prisonnier hors d’atteinte… Imbécile !… Quand je le voudrai, j’irai le rendre à la liberté.

Dans quatre jours, entends-tu, Landry, dans quatre jours, Lafond sera libre.

Mes amitiés,

HENRI MORIN. »

Troisième lettre :


« Mon cher Landry,

Tu ne saurais t’imaginer comme tu m’as fait rire hier soir… N’est-ce pas une bonne farce que celle que je t’ai jouée, quand tu as déménagé ton captif de l’entrepôt de la rue Saint-Paul à cette maison abandonnée de la paroisse de Saint… Sais-tu où j’étais ? Mais oui, tu dois le savoir à présent que ton chauffeur, que j’avais laissé ivre mort dans une taverne de la rue des Commissaires, a dû reprendre ses sens et t’avouer que ce n’était pas lui qui conduisait ton auto au cours de ta dernière randonnée

Mais oui, pantin, c’est moi qui étais à la roue hier soir, c’est moi qui ai ouvert la porte du taxi « Feuille d’Érable » quand tu es sorti de la soupente de la rue Saint-Paul avec ce pauvre Germain que deux de tes sbires retenaient prisonnier. C’est à moi que tu as recommandé de tenir l’œil ouvert et de donner le signal si je m’apercevais que nous étions espionnés par un des hommes de Morin… N’est-ce pas que c’est drôle ?

Pourquoi te donner tant de peine, mon pauvre petit, puisque je te répète que c’est inutile ! En quelqu’endroit que tu caches Lafond, je saurai où il se trouve, comprends-tu je le saurai au moment même où tu le changeras de cachette… On ne me la joue pas à moi, tu dois me connaître, ce n’est pas la première fois que nous croisons le fer ensemble… Tu sais que nous avons un terrible compte à régler toi et moi et la date de l’échéance approche.

Ne cherche pas ce projet d’acte de transport que tu avais fait préparer pour le cas où Lafond se serait décidé à te signer un abandon de sa mine, avant de te quitter, je l’ai enlevé de la poche de ton paletot.

Maintenant, mon petit ami, j’ai une communication à te faire. Tu sais, n’est-ce pas, que la compagnie qui doit exploiter la mine de mon ami Lafond, « La Digue Dorée, Incorporée » est maintenant organisée. Et sais-tu qui m’a donné l’idée de cette raison sociale épatante ? Mais oui, Landry, c’est toi, toi avec tes fausses lettres de menaces. Il est vrai que toi, tu signais « La Ligue Dorée », mais changer un L en D sur ces lettres, c’était jeu d’enfant, surtout quand on a affaire à de braves gens naïfs et confiants comme Durand et Mouton.

Donc, tout est prêt pour l’exploitation de la mine de Lafond, il ne nous manque plus que Lafond lui-même. Il est vrai que nous n’avons pas nécessairement besoin de lui pour commencer les opérations mais après m’avoir donné pour mission depuis si longtemps de le protéger contre toi, je veux, entends-tu, je veux que Lafond soit à mes côtés dès le premier jour de l’exploitation de la mine phénoménalement riche qu’il a découverte.

Sais-tu ce que cela signifie ? Tu comprends, n’est-ce pas ? Cela signifie que je t’ordonne de remettre mon ami en liberté d’ici à samedi, à onze heures et demie, pas une minute de plus, comprends-moi bien, c’est le délai ultime.

Si tu fais ce que je t’ordonne, je consentirai à faire taire mon juste désir de vengeance, tu pourras aller te faire pendre ailleurs.

Mais si, samedi, à onze heures et demie, Lafond ne nous est pas rendu, je te jure que je le délivrerai moi-même et ce, en dépit de l’armée de forbans qui t’entoure, je te jure que je te démasquerai, que je dévoilerai ta véritable personnalité, que je dirai comment tu te caches sous le nom d’un mort pour accomplir tes crimes, tes fourberies et tes vols et alors,