Page:Paquin - Œil pour œil, 1931.djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39
ŒIL POUR ŒIL

nacé dans sa vie et dans ses biens… Je n’ai pu venir moi-même, vu son absence vous donner les détails du complot ourdi contre sa vie. Je n’ai pu non plus les confier à mon messager, tout fidèle et dévoué qu’il est. En un temps, comme celui que nous traversons, et où chacun peut payer de sa tête sa participation à la chose publique, la prudence doit être le premier de nos soucis. Les écrits restent. Si vous avez assez de confiance pour vous confier à moi, vous aurez sauvé votre époux d’une mort certaine. Vous n’aurez qu’à faire ce que le porteur de cette lettre vous dira. Je vous jure qu’il ne vous arrivera aucun malheur. Si quiconque s’avisait de toucher même à un cheveu de votre tête, ce serait pour lui décréter sa mort… Je vous attendrai donc chez moi à 3 heures. Je tiens absolument à vous voir. Vous seule pouvez sauver M. von Buelow.

« Je vous attends donc assuré que l’amour que vous portez à votre mari vous dictera votre conduite ».

Luther HOWINSTEIN

Sa lecture terminée, Natalie, demeura quelques instants immobiles les yeux sur le papier où courait ces lignes d’une écriture carrée et lourde. Que signifiait cette missive plus qu’étrange. Contenait-elle un piège. Pourquoi fallait-il qu’elle se rende chez Howinstein, qu’elle se compromette presque. L’ultimatum de la fin contrastait avec les protestations d’amitié du début. Pouvait-elle ignorer cette missive… Si c’était vrai qu’Herman était menacé. N’avait-on pas tenté de l’assassiner… Quel mobile pouvait avoir Howinstein à leur rendre service… Elle décida de renvoyer le messager… s’il arrivait malheur à Herman… Si c’était vrai… Aurait-elle peur ?…

— Attendez-moi quelques minutes, et je vous suis, dit-elle au messager. Sa résolution prise soudain de connaître l’aventure jusqu’au bout.

Elle monta à sa chambre endossa un costume de ville, glissa dans l’une de ses manches, un fin pistolet à manche de nacre, cadeau d’Herman, et suivit le messager, docile à ses ordres.

Elle s’assit à l’arrière de l’auto qui démarra silencieusement et s’engagea bientôt sur la grande route dans la direction de Leuberg.

Des pensées et des impressions contradictoires se choquaient et se heurtaient dans sa tête.

Allait-elle délibérément se jeter dans la gueule du loup ? Que dirait Herman quand il apprendra que, seule, elle s’était rendue à la demeure de Howinstein ? Herman la croira si jamais il apprend sa démarche, quand elle lui dira qu’elle agissait ainsi pour lui, pour lui seul. Et Herman avait confiance en elle. Elle tâtait la crosse de son revolver décidée à ne reculer devant rien si l’on menaçait son honneur.

Située dans la partie neuve de Leuberg, la résidence de Luther Howinstein se distingue par une recherche de faste, d’un mauvais apparat. Malgré les efforts de l’architecte pour lui donner un cachet grec elle dénote le parvenu, le nouveau riche.

Le fronton et les colonnades du portique trop lourde pour le corps du logis sont de mauvais goût. Elle révèle le caractère de l’occupant, prétentieux, puissant, sûr de sa force, mais qui n’a pas réussi à cacher ses origines.

À l’intérieur la même recherche prétentieuse règne. Tout est trop lourd, les meubles, les tentures, les bibelots. Aucune délicatesse. La force, rien que la force. Les tableaux, les sculptures, tout ce qu’il y a d’artistique ne servent qu’à magnifier la force. On se croirait dans le temple de la puissance.

Dès son entrée, Natalie perçut une sensation désagréable de ces choses. Le raffinement de sa nature répugnait à ce culte dont chaque objet gardait l’empreinte.

On la fit pénétrer dans le cabinet de l’avocat. C’était une vaste pièce aux tentures sombres, d’un rouge effacé ; une bibliothèque couvrait tout un pan de la muraille…

Quelques fauteuils de cuir rouge, un