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ŒIL POUR ŒIL

établir un mode de gouvernement qui créerait le chaos ! Une seule chose importait. Revoir Natalie, lui faire payer une à une les humiliations endurées, la faire souffrir dans son cœur et dans sa chair pour toutes les souffrances morales et même physiques que l’attrait puissant qui le portait vers elle lui avait causées. Se venger ! La frapper dans tout ce qu’elle avait de cher, imposer comme une obsession son souvenir ! Et puis ! Un jour… Assouvir sa passion… de force. Il rêvait de cet instant où il l’amènerait à ses pieds, domptée et soumise comme une esclave !

Son désir de retourner à Leuberg… mais en triomphateur cette fois, lui faisait multiplier ses activités, brusquer les événements.

Déjà des journaux étaient à sa solde qu’il contrôlait. Il y avait partout même au sein du cabinet, des créatures à lui dévouées.

Le maréchal Junot, ministre de la guerre, n’attendait plus que ses ordres pour mettre l’armée à sa disposition… Et voici qu’il apprend par les journaux que le ministre des Affaires Étrangères se rendra à Londres dans quelques jours, que son absence durera peut être une semaine.

Moment propice par excellence pour réussir ce qu’il veut tenter.

Junot averti, vient le voir secrètement dans son exil. Ils se concertent, élaborent leur plan.

Le lendemain du départ de von Buelow, tout sera prêt.

Howinstein n’aura qu’à se présenter à Leuberg pour y recueillir le pouvoir.

Cela n’est pas suffisant. Auparavant, il tient à accomplir une visite, une visite importante.

Seule, chez elle, il faudra que Natalie le reçoive. Si elle refuse, il la met en état d’arrestation, il l’entraîne de force à la prison, une prison dorée qu’il lui fera, mais une prison dont lui seul aura la clef.

Et Luther Howinstein à cette pensée ferme les yeux et se repait d’avance en imagination à contempler sa victime implorant à ses genoux un peu de pitié pour elle et les siens.

L’heure sonne enfin de sa vengeance.

Depuis la veille von Buelow est parti pour Londres.

Tout est prêt dans la capitale pour le recevoir. L’armée n’attend qu’un mot.

Howinstein part. Il arrive au palais gouvernemental. Les députés siègent, sans se douter du coup d’état qui se prépare, coup d’état d’une hardiesse et d’une témérité extraordinaires.

D’un pas ferme, Howinstein se rend jusqu’à la Tribune. La surprise cloue les députés à leurs sièges. Que se prépare-t-il.

Howinstein parle. Il accuse. Brouhaha, protestations.

En un instant, l’armée envahit l’enceinte parlementaire. Elle impose de force silence aux récalcitrants. De sa propre autorité, le nouvel arrivant se proclame dictateur de l’Uranie. Il fait plus. Il décrète l’arrestation de ceux, tous ceux qui ne lui sont pas dévoués. Elle s’accomplit séance tenante. Le procès aura lieu demain. Simple formalité ; nul n’en ignore l’issue.

Dans la ville, dans le pays, la loi martiale est proclamée.

Les émeutes sont étouffées avant de naître.

On sait le reste. Comment l’ère recommença des proscriptions ; comment Junot fut assassiné par la Borina ; comment le peuple lassé de tant de gouvernements successifs, lassé de la révolution, des émeutes et du sang versé rappelle Karl de l’Exil ; comment Howinstein se sauve la veille même où on devait l’appréhender et le conduire à son tour, là où il en avait conduit bien d’autres devant le peloton d’exécution.

C’est de l’histoire politique ancienne, confinée dans les archives, et dont subsiste chez le peuple uranien, un souvenir douloureux et poignant comme un cauchemar.