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Page:Paquin - La cité dans les fers, 1926.djvu/52

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LA CITÉ DANS LES FERS

— Voilà l’artisan de la Victoire ! le libérateur de Québec.

En une phrase concise nerveuse et comme ramassée sur elle-même, le président lança les paroles d’espoir. Ils étaient maîtres de Québec. Il le seront tant que le moral tiendra bon. Il fut pathétique s’élevant jusqu’au sublime. Son verbe allait remuer le patriotisme chez ces gens, le réchauffer, l’enflammer.

Ce fut tête nue, la face tournée vers la statue du fondateur qu’il termina sa harangue en évoquant le geste auguste des premiers colons qui ont accompli au pays les « gesta Dei per francos ».

Et nous continuerons conclut-il.


XX

LA TÊTE À PRIX


Le stratagème du général William, ne réussit qu’en partie. La prise de possession de Québec par les forces républicaines dérangeait un peu ses plans. Il ne s’attendait pas à un coup de maître comme celui que devait accomplir Boivin.

Mais devant le résultat obtenu ailleurs il oublia ce léger échec.

Montréal dégarni de quelques uns de ses régiments et privé de ses chefs, le temps devenait opportun de sévir, et de sévir avec la plus excessive rigueur.

Les troupes d’Ontario débarquèrent, fraîches et disposées. Devant leur nombre, l’armée républicaine dut évacuer Montréal. Elle se dispersa, un peu partout, dans les villages des alentours.

Le général Williams fit proclamer la loi Martiale.

Une récompense de $25,000.00 fut offerte à celui qui livrerait la « traître Bertrand », mort ou vif.

Des arrestations furent opérées. Nombre de suspects subirent un procès sommaire, furent adossés au mur, et le corps criblé de balles, s’abattirent.

Le Maire fut l’une des premières victimes. Un gouverneur militaire le remplaça dans ses fonctions avec un pouvoir discrétionnaire illimité.

MacEachran avait voulu écraser, férocement, dans le sang, cette rébellion.

Durant plusieurs jours ce fut comme un régime de terreur sur la ville.

Barnabé devint un personnage des plus influents. Impitoyablement, ceux qu’il dénonçait, payaient de leur tête leur crime de lèse-patrie.

Les clubs durent s’entourer du plus grand mystère pour continuer leurs assises.

Quatre fois les membres du « Chien d’Or » durent déménager. Leur nombre diminuait. Presque chaque jour, l’un d’eux manquait à l’appel ; on apprenait, peu après, que, pris dans un traquenard, ils avaient été livrés aux autorités.

Les autres villes de la province étaient calmes. Québec était devenu le Château fort républicain.

C’est là que Bertrand avait établi ses nouveaux quartiers généraux. C’est de là qu’il sut que dorénavant il n’était qu’un proscrit dans sa propre patrie. Il voulut braver l’édit et se montrer à Montréal, quand même, prêt à prêcher la résistance.

Sur les conseils de Boivin, il s’en abstint et donna le mot d’ordre partout « Calme et soumission apparente ».

Ils concentrèrent leurs efforts sur Québec. La manufacture de fusils « Denechaud » fonctionna jour et nuit pour eux. Il fallait des « canons, des munitions ». De la Banque on télégraphia l’argent à une succursale de Québec.

Il se mit en communication avec William C. Riverin. Quelques jours après, il reçut la visite d’un personnage mystérieux qui lui remit le montant d’un demi million de dollars, fit signer un reçu et repartit aussitôt.

Les nouvelles qu’il recevait de Montréal, l’exaspéraient. Les militaires ontariens se conduisaient avec toute la morgue d’une soldatesque avinée. Le soir, au moindre groupement, lorsque neuf heures venaient de sonner aux églises, les militaires épaulaient et faisaient feu sur ceux qui n’avaient pas quitté la place.

C’était bien la Cité dans les Fers, la Cité torturée. La moindre résistance était écrasée sans merci, sans pitié ; le terrorisme régnait. On sentait la main de fer du Régime jusque sur la presse qu’elle bâillonnait. Dans chacun des journaux, Bertrand pouvait voir sa photo et au haut l’alléchante promesse de $25.000 pour celui qui le trouverait.

Dans les premiers Montréal, c’était des appels à la soumission, c’était des diatribes contre les fauteurs de désordre, ces « énergumènes » ces « cerveaux brûlés » comme on les appelait.

Bientôt, il apprit que tout était rentré dans l’ordre, que, dans quelques semaines au plus, la province entière se soumettrait.

En guise de riposte, il fit publier dans les journaux québecquois qu’il commencerait sous peu, une grande campagne à travers les