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la mystérieuse inconnue

— Pas si facile que cela, il peut s’en apercevoir à ses dépens, je n’ai pas besoin de mettre la police dans mes secrets.

— Vos valeurs, où sont-elles ?

— Une partie à la banque, la majeure partie cependant est enfermée dans un coffre à la maison.

— Ce n’est pas très prudent.

— N’ayez aucune crainte, je possède seul la combinaison.

Comme Me Gosselin avait fini de régler les affaires qui le concernaient, il trouva derechef un prétexte pour s’absenter.

Il voulait laisser les jeunes gens seul à seul. Il entrevoyait le jour où son client deviendrait amoureux fou de sa fille, mais le charme, qui avait opéré l’instant d’avant était rompu.

André se retira peu d’instants après, maugréant contre lui-même, humilié d’avoir subi l’esclavage d’une personne qu’il n’aimait pas du grand amour rêvé jadis.

En retournant chez lui à pied, il s’analysait. Il était furieux contre lui-même. Maintenant il pensait à l’autre, à ses yeux lumineux, à l’expression de naïveté candide qui imprégnait son visage. Il s’en voulait de l’avoir laissé partir sans insister plus pour savoir d’elle son domicile, c’était suffisant.

— Quant à son aventure avec Julienne, elle l’humiliait. Il avait agi en enfant d’école. Heureusement qu’il était temps encore de se ressaisir.

— L’aimait-elle ?

Que lui importait !

Pour calmer son désarroi intérieur, il décida le lendemain de faire un voyage à St X.

Il n’y était pas retourné depuis les fêtes, il y avait plus de deux mois, puisqu’on était en mars, à l’époque où les érables coulent, et que dans la campagne, les sucres commencent.

Là bas il retrouverait la tranquillité d’âme qu’il désirait. Ces événements successifs, avec ce qu’ils avaient d’incroyable et d’inusité, commençaient à lui donner les nerfs.

XI

Et le lendemain, par une journée printanière, il s’embarqua pour St X…

Le long de la route qui conduit de la gare à la demeure familiale, le soleil dardait sur la neige ses rayons renfoncés. Elle fondait à vus d’œil, l’eau se frayait un cours et s’acheminait par les fossés jusqu’à la rivière.

Heureux de déposer pour quelques temps le poids lourd de la richesse, il se laissa imprégner de la tranquillité latente de la campagne, pendant qu’il cheminait vers la demeure paternelle. On entendait des bruits familiers s’élever plus sonores comme un hymne au renouveau. Les coqs, juchés là où ils pouvaient s’élever, se dressaient tendus vers le ciel comme une offrande, et les « cocoricos » montaient, sonores, triomphants, exubérants.

Des habitants passèrent qui rencontrèrent le visiteur.

— Bonjour, Monsieur André, disaient-ils en saluant.

— Bonjour, mon vieux, répondait ce dernier.

Et d’être reconnu, salué, estimé, lui réchauffait le cœur.

Chez lui personne ne l’attendait, son arrivée fut une surprise joyeuse. Les questions se succédaient, pressées, nombreuses.

On le trouvait un peu maigri. Rien d’étonnant, puisqu’il lui manquait l’air pur que les usines n’ont pas contaminé et qu’il était privé de l’exercice salutaire qu’apportait à son corps, les randonnées dans les rangs et le travail dur auquel parfois il s’astreignait.

Il séjourna deux semaines à St X… insouciant du lendemain et de l’avenir, ne formant aucun autre projet, se contentant de se laisser vivre dans la douceur du farniente et d’oublier les tracas et les soucis qui, ces derniers temps, l’avaient assailli.

La saison était propice au repos. Partout en entaillait les érables et des fêtes nombreuses aux cabanes à sucre apportaient avec elles les distractions indispensables. Et puis, c’était l’époque du renouveau. La vie commençait d’apparaître au travers du manteau hivernal dont il ne restait plus que des lambeaux.

XII

Quand André Dumas reçut la courte missive le prévenant d’être sur ses gardes et qu’on en voulait à sa vie il ne se douta pas un seul instant de la gravité de la situation. Il crut à une fumisterie, comme il crut que la visite qui suivit la réception de cet avis, n’était que le fait d’un escroc qui voulait le faire chanter. Il en fut seulement ennuyé.

Annette Germain, après son entrevue avec le jeune millionnaire abandonna personnellement ses désirs de vengeance pour une raison puisée au fond de son cœur et qu’elle n’aurait jamais voulu avouer.