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la mystérieuse inconnue

lobby d’un hôtel fashionable dans l’ouest de la ville.

— Vous connaissez M. Dumas, demanda-t-elle ?

— Oui.

— Vous savez qu’il est très riche ?

— Oui.

— Si je suis bien renseigné, il vous a déjà chassé de chez lui comme on jette à la porte un mendiant ou un malfaiteur ?

— Vous êtes bien renseigné.

— Je suppose donc que vous avez des raisons de ne pas l’aimer de tout votre cœur ?

— Vous supposez juste.

— Si je vous disais où se trouve l’endroit exact où sa fortune entière, ses richesses en valeurs négociables sont réunies, cela vous rendrait-il service ?

— Un service immense.

— Tenteriez-vous l’impossible pour le dévaliser ?

— Pourquoi me demandez-vous cela ?

— Parce que je le hais… Toute sa fortune est enfermée chez lui dans un coffre-fort. Le coffre-fort est dans son cabinet de travail, dissimulé derrière un pan de bibliothèque. Le pan de bibliothèque se déplace à volonté.

— Savez-vous la combinaison du coffre-fort ?

— Non ! c’est à vous de la trouver en soudoyant quelqu’un de son personnel.

— Mademoiselle, je vous remercie de vos renseignements. Je vous en suis très reconnaissant.

— Prouvez-moi votre reconnaissance en le ruinant.

Elle allait ajouter.

— Tuez-le si vous pouvez.

Elle se reprit en songeant que son triomphe serait plus grand de l’insulter dans sa pauvreté, comme lui l’avait insultée dans son opulence.

— Monsieur j’ai l’honneur.

— Me direz-vous qui vous êtes ?

— À quoi bon. Bonsoir.

— Bonsoir.

Le nœud du drame se resserrait. La Némésis, cette déesse dangereuse, cruelle et fatale venait de mettre en scène un personnage de plus qui aidait au dénouement de l’intrigue en la corsant davantage.

XXI

Le terme du dénouement approchait. Bientôt les deux hommes seraient en présence l’un de l’autre. Que sortirait-il de cette rencontre ?

Qui l’emporterait ?

C’est ce qu’Annette se demandait après que son frère lui eut fait part de son intention de dévaliser André Dumas.

Elle tremblait à cette perspective. L’avertir ? Elle ne le pouvait pas. Elle ne pouvait pas livrer son frère à la merci de l’homme qu’elle aimait. Pendant qu’Ernest Germain étudiait les moyens de pénétrer chez le millionnaire, celui-ci, de son côté, étudiait les moyens de l’attirer chez lui. Entre eux le truchement. Johnson. À son insu, le bootlegger jouait le premier rôle. Il était la cheville ouvrière, le « deus ex machina ». Avant même que son patron ne lui eut dit sa ligne de conduite, le chauffeur recevait du roi de « l’underworld » une invitation de le rencontrer clandestinement à son « blind pig ». Johnson s’y rendit.

Pit Lemieux lui demanda s’il connaissait le secret du coffre-fort, les lettres qui formaient la combinaison du coffre-fort. Johnson répondit qu’il ne le savait pas, mais que d’ici quelques jours, il serait en mesure de lui fournir les renseignements voulus.

— C’est facile, tu es dans la place. Tu n’as qu’à te cacher dans la pièce, derrière un meuble, surveiller le patron et écrire les détails du secret au fur et à mesure.

— Et quelle récompense si je te le procure ?

— Cent mille dollars.

— Tu n’as pas peur d’être arrêté, reconnu, condamné ?

— Non, après le vol — pardon, je me trompe, après m’être fait justice, je saute dans un auto, la tienne, j’arrête chez nous, et nous filons jusqu’à New-York. Ensuite je me moque de ce qui peut arriver. Avant que Dumas se soit aperçu de quelque chose, nous sommes en mer et nous filons, sous de faux noms, vers l’Europe. Je vais m’occuper des passeports dès aujourd’hui.

Un doute lui traversa l’esprit.

Si Johnson se servait avant lui de l’opportunité qui s’offrait de faire un coup d’éclat, de s’emparer en une seule fois d’une somme fabuleusement colossale, de perpétrer, profitant de la confiance d’un jeune homme imprudent, l’un des vols les plus considérables qui se soient jamais commis ?

L’appât du gain est puissant chez ceux qui ont vécu en marge de la société. Peut-être Johnson irait-il, une fois fasciné par l’or, jusqu’au meurtre !