Page:Paquin - Le lutteur, 1927.djvu/9

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

La roseur de ses joues disparut. Elle devint pâle, très pâle. La blancheur de sa chair se confondit à la blancheur du vêtement ample qui recouvrait son corps souple.

Elle murmura simplement :

— Mon pauvre Pierre ! Mon pauvre Pierre ! Que vas-tu devenir ? Qu’allons-nous devenir ?

Brisé par l’épuisement nerveux, il se mit à pleurer. Sa main cherchait la main de l’amie, la main de celle qu’il avait choisie pour partager sa vie : ses joies, ses deuils, ses bonnes fortunes et ses revers.

Elle alla se blottir contre lui, et avec des caresses dans la voix, elle essaya de bercer cette douleur, pour l’endormir.

Comme une écluse qui se brise fait déborder l’eau prisonnière, le trop plein des pensées amères déborda sur les lèvres du mari, un flot de paroles. Il lui conta tout. Les faits se suivaient sans ordre, sans cohésion. Il parlait, il parlait, nerveusement. Et il s’échauffait, et il s’emballait. Il était ruiné, bel et bien ruiné, sans un sou vaillant devant lui. La fortune de sa femme devrait y passer pour solder la dette. Et tout cela, de par la volonté d’un homme qu’il ignorait l’année d’avant et à qui, jamais, il n’avait rien fait. Quelles raisons pouvait-il bien avoir ce Victor Duval, pour s’acharner à lui ? Depuis quelques mois c’était une guerre implacable qu’il lui livrait. Cette nuit, il avait porté le coup de grâce, celui qui tue. Maître de la Fluviale, Maître de la Dominion Steamship, les deux principaux clients de la Fonderie Dollard, à vrai dire, ses seuls clients, il avait annoncé son intention bien formelle de ne faire affaire qu’avec une maison de Québec. Il avait refusé de renouveler les contrats, et, sous prétexte de défectuosité dans le travail, refusé de payer l’ouvrage en cours et de l’accepter. C’était la ruine immédiate, totale. Des pièces de machineries toutes neuves, n’ayant plus leur utilité devenaient de la « scrap » comme disent les anglais. Les banques refuseraient d’escompter de nouveaux billets indispensables, nécessaires, vitaux. Une industrie jadis prospère, sombrait, sapée dans ses bases. Lui, Pierre LeMoyne, devrait affronter la meute des créanciers, meute décharnée, enragée, et qui s’acharnerait à la curée.

Rêveuse, Germaine l’écoutait.

Elle voyait, que surgissaient devant elle, quelques instants de sa jeunesse ensoleillée. Elle voyait, à ses genoux, humble et timide, un jeune homme lourd d’allures et gauche de mouvements. Elle voyait ses yeux embroussaillés sous les sourcils se voiler, s’humecter, et l’implorer avec le regard d’un pauvre chien battu.

Elle entendait, distinctement, frappant son oreille, l’éclat de rire dédaigneux et hautain qui accueillit la supplication de l’amoureux : son propre rire à elle.

Puis… elle vit le jeune homme se redresser, lui prendre le poignet qu’il serra à faire craquer les os, et fixer sur elle ses yeux gris où une petite flamme dansait qui la troubla, la fascina presque, mais surtout l’épouvanta…

Elle comprenait…

Le silence maintenant, planait dans la pièce.

Le tragique de la situation les enveloppait ne leur laissant aucune issue.

L’homme se leva. Il se dirigea vers le secrétaire, en ouvrit un tiroir.

Poli, luisant, le canon d’un revolver y brillait.

Il le prit, et, de la main, longuement le caressa. Il regarda dans le vide.

— Pierre !

Ce fut un appel strident, un long cri d’effroi.

Germaine lui arracha l’arme des mains.

Hébété, il la laissa faire, regardant toujours dans le vide.

Puis, un frisson de nouveau le parcourut qui le tordit tout entier.

La même interrogation angoissante, cruelle d’incertitude, lui vint aux lèvres :

— Qu’allons-nous devenir ?

Elle essaya, surmontant ses anxiétés, de trouver les mots de réconfort, les mots qui aident et qui consolent.

Il n’avait ni courage, ni force, ni énergie.

Recommencer sa vie ! Refaire une fortune florissante, il ne le pouvait pas !

Il se sentait désemparé. Il n’était qu’une épave que le courant charrie vers la chute prochaine.

Quels seraient les jours futurs ?

La maison vendue, les meubles vendus… le recommencement obscur dans la misère… l’abandon d’un luxe qu’ils respiraient comme l’air ambiant… les privations humiliantes… la pauvreté, la hideuse pauvreté…

À son tour, elle frissonna. Une terreur folle de l’avenir l’envahit.

À son tour elle ne pouvait se résoudre.

Elle regarda autour d’elle… Tout respirait le bien être. Tout dégageait la chaleur douce du confort.

Simplement, elle dit :