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LE MIRAGE

la beauté avait quelque chose de distant, il s’était enhardi jusqu’à lui prendre la main et à y déposer ses lèvres. Il éprouvait un besoin impérieux de parler, de conter ses rêves d’avenir qu’il échafaudait très haut jusque dans les nuages ; de lui faire part de son ambition que les dernières fumées de l’alcool rendait d’une grandeur démesurée.

Devant la jeune fille qui l’écoutait en l’encourageant, il s’exhaltait et professait le « quo non ascendam » des orgueilleux insatisfaits et insatiables. Son mérite serait d’autant plus grand qu’il se serait hissé au sommet de par ses propres forces.

— N’ai-je pas commencé, disait-il, à émerger au-dessus de la foule de mes confrères. Ne suis-je pas le premier d’entre eux et vous verrez que l’an prochain à l’examen final, je serai encore le premier et d’emblée. Il s’étourdissait de sa paroles. Sa vanité s’en grisait.

— N’est-ce pas à moi que vous le devez, lui dit-elle. Vous rappelez-vous notre entrevue du Lac-aux-Grenouilles où je vous disais…

— « Un homme comme vous n’a pas le droit de s’enliser dans un petit village. » Oui, je me souviens, et c’est votre phrase qui m’a décidé à abandonner pour la ville mon petit et monotone village.

— Et vous le regrettez ?

— Non. Bien qu’il y a des fois, surtout des soirs, quand je suis fatigué d’une journée dure d’études, où j’aspire à la tranquillité de la campagne, et j’envie presque le sort de ceux qui y passent leur vie, leur petite vie calme, sans rien qui les dérange, dans le contentement de leur état, et dans l’ignorance de conditions supérieures. Mais ce regret passe vite.

— Il reste encore un peu de paysan en vous ?

— Si peu. Que voulez-vous ? On ne peut être le fruit de cinq générations de cultivateurs sans que l’atavisme et l’hérédité…

— Est-ce l’hérédité qui doit guider vos actes ? L’homme véritablement supérieur doit se débarrasser totalement de ces liens, et faire sa vie par lui-même, selon le choix libre de sa volonté… Savez-vous pourquoi je vous aime ?

— Vous m’aimez ? souligna-t-il moitié sérieux, moitié badin.

— C’est une façon de parler. Mettons : « Pourquoi vous me plaisez ». C’est à cause des possibilités que je devine en vous. Je voudrais être pour vous une allumeuse d’idéal. Vous ne savez pas quelle satisfaction ce serait que de se dire qu’un homme issu d’un milieu obscur est monté jusqu’au pinacle de la grandeur parce qu’on a contribué en lui insufflant l’énergie et le courage à le faire ce qu’il est. C’est participer à son ascension, coopérer à ses succès.

L’auto venait d’arrêter devant la demeure des Mercier.

— Je vous attendrai dimanche après-midi. Nous prendrons le thé ensemble, et si vous le voulez nous reprendrons notre conversation…

— Si je le veux ! Mais vous venez de m’insuffler une force nouvelle. Vous me donnez une confiance en moi-même de plus en plus grande, une confiance telle que je ne reculerais devant rien me sachant capable de tout entreprendre et de réussir. Bonsoir ou plutôt bonjour et à dimanche.

Seul maintenant dans l’auto somptueuse qui roulait mollement, il se joua à lui-même la comédie de la richesse et de la puissance, jusqu’au moment où devant l’humble maison bourgeoise qui lui servait de demeure, le chauffeur l’arracha brusquement de ses rêves.

— Monsieur. C’est ici. Vous êtes arrivé.


XII


Je ne sais quel philosophe ancien a dit que pour éviter que les lendemains de fête soient tristes il n’y avait qu’à les convertir en fête. Précepte plus facile à formuler qu’à mettre en pratique.

Fabien avait la tête lourde, la bouche épaisse, avec un goût de cendre, l’estomac détraqué de son orgie de la veille. C’était un novice de la noce.

Il était d’humeur maussade. Tout le fatiguait, l’impatientait. Tout lui paraissait laid. La vie elle-même était un fardeau à porter. Les compensations du plaisir sont trop lourdes.

Comme un ivrogne promet de ne plus boire, il se promit bien de ne plus recommencer de telles parties de plaisir. La petite douleur lancinante qu’il avait aux tempes et qui ne le lâchait pas, contribua pour beaucoup dans sa résolution.

Le jour d’après, débarrassé de ses malaises, il ne songeait même plus, et se plaisait à récapituler en son esprit tous les menus événements de cette soirée. Avec désinvolture ses sentiments firent volte face, et il trouva que ce serait agréable de recommencer.

Il y a des endroits où cela flatte d’être vu. Le café de la Riviera est de ceux-là. On y rencontre de belles femmes, chiquement mises, on y déguste de bons plats, on y boit du bon vin, et parmi les attractions il s’en trouve parfois qui possèdent un véritable cachet artistique. Comme c’est un public sélect qui le fréquente et qu’on fait partie de ce public, l’on est donc classé.

Mais voilà ! Il y a un mais ! Cela coûte cher et ce n’est pas tous les soirs qu’on rencontre une personne comme le député qui défraye toutes les dépenses.

Fabien rêva donc de la vie de luxe… Il maudit sa pauvreté, et se creusa la tête pour trouver un moyen d’en sortir, d’en sortir vite.

Toujours il se butait à un mur, le mur de ses études.

Au Bureau où il faisait de la procédure, de la correspondance et ce que l’on est convenu d’appeler la cuisine, on lui donnait bien un salaire, mais un salaire si maigre qu’il ne permettait aucune extravagance. Sans la subvention paternelle, il serait même insuffisant à le faire vivre.

Demander une augmentation de salaire ! Amener le père à lui octroyer une subvention plus grande ! Ces deux solutions s’imposaient. La raison pour la deuxième demande était trouvée. Les nouveaux honneurs à lui conférer. Il ne doutait pas de l’obtenir à sa prochaine visite dans quelques jours.

Quand à son patron, il savait que sa bourse était hermétique comme des vers ultradécadents.