Page:Paquin - Le mort qu'on venge, 1926.djvu/37

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

malaise régnait entre eux. Adèle avait le cœur gros ; elle était prête à pleurer. Elle aussi avait son orgueil ; il la faisait souffrir.

Son compagnon marchait en sifflotant, d’une façon qu’elle jugeait insolente. Un chien errant la frôla. Elle avait une peur horrible des chiens. Elle poussa un cri et d’un geste instinctif elle saisit le bras de Julien. Il eut l’à-propos de ne pas abuser de cette légère victoire. Elle lui en sut gré.

Ils se laissèrent à la porte de l’hôtel.

— À demain, lui dit-il.

Elle ne répondit pas et monta, en courant, l’escalier qui menait à sa chambre. Quelqu’un frappa à la porte quelques coups discrets. Elle essuya vite ses yeux et alla ouvrir. C’était Thérèse LeSieur.

— Qu’as-tu, ma pauvre Adèle, tu as pleuré ? Tu as de la peine ?

— Je ne sais pas si j’ai de la peine ou de la joie. Il m’aime, Thérèse !

— Toi, l’aimes-tu ?

— Oui, beaucoup, mais j’ai eu peur. Je ne le croyais pas comme cela… Thérèse, il m’a dit qu’il m’aimait puis il m’a embrassée de force et ses yeux étaient brillants. Il y avait comme une petite flamme rouge qui y dansait :

— Qu’est-ce que tu veux, c’est un homme tout d’une pièce, c’est sa nature qui est comme cela.

— Il m’a invitée pour aller à la Malbaie demain. J’ai d’abord accepté. Ensuite j’ai refusé et il a insisté avec violence pour que je tienne ma promesse. J’ai peur d’avoir deviné en lui le « maître ». Je ne veux pas être une petite chose entre ses mains qu’il pourra briser à son gré… Non ! Je ne veux pas l’aimer. Il est trop autoritaire. Il veut tout dompter. Il m’a dit que je lui obéirais en tout point et que demain, bon gré mal gré, j’irais avec lui.

— C’est un énergique et c’est si rare les hommes énergiques en tout.

— Mais je n’aime pas cela en amour. Je ne veux pas lui abandonner ma volonté. Non ! Je ne l’aime plus. Je ne veux pas l’aimer. Il me répugne.

— Il a peut-être obéi à l’impulsion du moment. Il était fatigué du voyage, énervé peut-être. Et puis, il a dû lutter contre cet amour et cela l’a exaspéré.

— Non ! N’essaie pas de l’excuser. Je ne veux plus l’aimer. Et pourtant, tu ne sais pas comme j’étais prête à le chérir, s’il avait été plus tendre, moins brutal…

— C’est qu’il n’a pas l’habitude du monde, il est vrai qu’il ne cache pas ses sentiments.

— Tu aimerais cela, toi, un homme qui t’en imposerait à ce point, qui t’indiquerait sa façon d’agir, qui substituerait sa volonté à la tienne ?

— C’est mon idéal. Je voudrais un homme ! non une femme. J’aimerais quelqu’un à qui obéir, et non un être que je devrais commander.

— Pas moi. J’avais rêvé d’un homme fort comme lui, mais qui devant moi serait faible. Je voudrais diriger, contrôler cette force… Non ! décidément, je ne l’aime plus, si tant est que j’ai pu l’aimer un peu, conclut-elle, avec un soupir.

Et longuement, les deux amies causèrent ensemble de ce sujet épineux, vieux et jeune à la fois : l’amour.

Adèle décida bien en se mettant au lit de « marcher à coup de bottes sur son cœur », ce qui ne l’empêcha pas de rêver à Julien toute la nuit.

Pendant ce temps-là, Julien récapitulait les derniers événements qui avait bouleversé son existence. Il s’aperçut qu’il était très énervé, ce qui jamais ne lui était arrivé. La scène de tantôt, surtout quand il s’arrêtait à la ressusciter, lui causait une drôle de sensation.

Il se surprenait à murmurer entre ses dents :

— Ah ! ma petite, tu as eu mon père. Tu l’as celé au pied du mur, mais avec moi tu ne gagneras pas.

Il songea que deux ans auparavant il s’était acheté un cheval rétif que personne ne pouvait monter. Au bout d’un mois, il avait rendu la bête aussi docile qu’un chien. Il agirait de même avec la jeune fille. Il ne doutait pas de lui. Pas une fois, l’idée lui vint qu’elle le dompterait.

Oui, cette idée lui vint, mais elle lui parut puérile.

Son énervement grandissait. Il déboucha une bouteille de cognac, s’en versa un verre qu’il avala et alluma un cigare. L’avenir se dressa devant lui avec toutes ses incertitudes, avec ses joies et ses peines, ses instants de bonheur et ses instants de tristesse. Le passé aussi se dressa… il chassa cette vision encore une fois.

Plus tard ! Plus tard ! Que fera-t-il alors ?

Il sera temps d’agir…

Il se jeta sur son lit. Le sommeil, malgré la fatigue d’une journée mouvementée, s’a-