Aller au contenu

Page:Paquin - Les caprices du coeur, 1927.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
13
LES CAPRICES DU CŒUR

Dupuis, de là aux autres marchands des alentours, piqua une pointe dans l’Ouest, et, muni de renseignements suffisants retourna au journal.

L’un après l’autre, les reporters entraient.

— J’ai une grosse affaire, cria Langevin. Un meurtre rue Cadieux. Une femme a été trouvée la gorge coupée.

— Trois colonnes ! répondit Roland.

— Noël, continua-t-il, faites-moi un « deux colonnes » avec ce que vous avez. Le titre en 48 points.

Les machines à écrire se mirent en mouvement, activées par des doigts nerveux. Les garçons couraient de l’atelier à la composition, portant, feuilles par feuilles, la précieuse copie.

Dans le soubassement, les presses bourdonnèrent, ébranlant l’édifice.


IV


— À partir d’aujourd’hui, vous ferez la Cour de Police, dit Roland à Noël, un matin. Langevin est malade assez gravement et jusqu’à son rétablissement, je vous confie son service. Vous savez que c’est le plus important de notre reportage. La façon dont vous vous êtes acquitté de l’Enquête sur l’Incendie du Métropolitain me permet de croire que vous ne vous ferez pas « scooper » souvent.

— Vous êtes satisfait de mon travail ?

— Très satisfait.

— Je suis au « Soir » depuis un mois. Le salaire qu’on me paye est ridicule. Quand j’ai fait mes arrangements avec le directeur, il était entendu que ce n’était que temporaire.

— Je lui en parlerai, reprit Roland. Vous n’aurez qu’à le voir ce soir et tout s’arrangera. Comptez sur moi.

— Je vous remercie d’avance.

Mais il arriva que les dires de Roland furent démentis par Jean-Louis Leduc. Celui-ci avait flairé dans le nouveau venu, un journaliste né dont la carrière pourrait peut-être nuire à la sienne.

Il représenta au directeur, qui ne demandait pas mieux que de le croire, qu’augmenter son salaire après un seul mois de service, constituait un mauvais précédent, que cela se saurait et donnerait lieu à des demandes similaires, toujours ennuyeuses à entendre, pour un patron.

Lucien apprit cette conversation, le soir même.

Il en éprouva du dégoût pour sa profession, qu’une jalousie irraisonnée entre confrères, gâtait à ce point. Il ne s’étonna plus de voir qu’au pays, les gens du métier n’étaient pas mieux traités. Il avait la clef de l’énigme.

Dès lors il accomplit sa besogne machinalement, se réservant de compter son fait à Leduc, dès que l’occasion s’en présenterait.

Entre temps, il s’aboucha avec les propriétaires des autres journaux.

Trois mois durant, chaque matin, il fit consciencieusement sa tournée au Palais de Justice, à la cour du Recorder, aux bureaux de la Sûreté et de la Police.

Sa copie était soignée. Il voulait son travail parfait pour qu’on ne l’accusât pas, au temps venu, d’avoir négligé ses fonctions.

Un jour, son confrère du « Temps » le prit à l’écart, en sortant de la Cour d’assise.

— Notre rédacteur politique vient d’être nommé traducteur à Ottawa. Le patron veut te voir cet après-midi. Tu pourrais facilement t’arranger avec lui.

— À quelles conditions ?

— L’on te donnera probablement 35,00 $ pour commencer.

Noël expédia sa besogne plus tôt que d’habitude, passa au « Temps », vit le propriétaire, conclut des arrangements, et, allègre, regagna son journal.

Il était un peu en retard.

Une grosse affaire ce jour-là avait captivé les journalistes : un meurtre effroyable accompli dans des circonstances tragiques. Le meurtrier devait être arrêté d’une minute à l’autre.

Le city editor était sur les dents. Il avait envoyé un de ses hommes accompagné du photographe faire une enquête sur les lieux du crime avec mission de revenir munis d’autant de renseignements et de photographies qu’il serait possible d’en prendre.

Il attendait maintenant l’arrivée de Noël pour avoir la version des autorités policières et des détails sur l’arrestation du bandit qu’on pressentait devoir se produire avant que le journal aille sous presse.

— Vous ne pouviez pas arriver plus tôt, fit Leduc, d’un ton rogue aussitôt que le