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LES CAPRICES DU CŒUR

Faubert, et aussi de l’influence qu’il continuait d’exercer.

Mais le journaliste, étourdi par le succès, et croyant que les circonstances le favoriseraient toujours, donnait tête baissée, dans des projets plus fous que grandioses.

Un jour il rassembla ses conseillers et leur fit part de sa décision d’acheter un immeuble dans le nord de la ville.

On lui fit voir que c’était prématuré. Le fait d’être contredit ancra l’idée plus profondément dans sa tête.

Il n’avait pas en banque les capitaux nécessaires à payer comptant la propriété qu’il s’appropriait. Cependant ils suffisaient au premier paiement.

Ses revenus augmentés de dividendes qu’il retirait de différentes compagnies contrôlées par Faubert et dans lesquelles il était intéressé, offraient un fort garant pour l’avenir d’autant plus qu’avec l’impulsion nouvelle et l’augmentation de son chiffre d’affaires, tout pouvait fort bien s’arranger. Il était mu principalement par le désir d’éblouir Hortense. La célébrité intellectuelle n’était pas suffisante. Il voulait être quelqu’un et par sa valeur intellectuelle et par sa valeur financière.

Être un « brasseur d’affaires » selon l’expression en cours chez le peuple, est un titre séduisant pour quiconque peut en ajouter un autre moins terre à terre.

Noël fit donc l’acquisition de l’immeuble convoité et quelques jours après, il commençait l’installation de son matériel. Le rez-de-chaussée s’encombra de presses de toutes sortes : presses rotatives, presses à cylindres. Au premier, les linotypes et les monotypes s’alignèrent prêtes à emplir l’immense salle de leur bruit métallique.

Durant le temps que dura l’installation, Lucien Noël n’eut guère le loisir de songer à Hortense.

Tout entier occupé à son affaire durant le jour, le soir il se couchait harassé de fatigue. Les lettres ne partaient pas.

Un matin, le jour même de l’inauguration du nouveau local, une lettre lui arriva de Québec.

On lui mandait que son silence inspirait des craintes. Était-il malade ? Pourtant l’on voyait à chaque numéro de l’Espoir son nom au bas du premier Montréal. Ou bien avait-il déjà oublié et si tôt les heures enchanteresses des dernières visites ? Incidemment Hortense lui contait qu’elle serait sous peu à Montréal chez son amie Pauline Dubois. La missive se terminait par la demande, comme une faveur, d’un signe de vie.

Le cœur battant, Lucien parcourut, une fois, deux fois, trois fois, cette lettre bienheureuse. Le soir il la savait par cœur. Il exultait de ce que le stratagème de Mainville ait réussi et si bien.

De retour chez lui, sa journée terminée, il répondit qu’absorbé par le travail géant qu’il s’était taillé, il avait dû négliger les choses du sentiment. Il serait heureux de revoir Hortense à Montréal.

Pas un mot d’amour, aucune allusion à ses précédents voyages. Tout au plus, une protestation banale d’amitié.


XV


Hortense Lambert avait souffert dans sa coquetterie et sa vanité de jolie femme du silence de Lucien Noël. Elle avait eu beau chercher, aucune explication ne s’offrait qui pouvait motiver cette abstention.

Les premiers jours qui suivirent le soir où elle fit des aveux, étonnée elle-même de s’être laissée prendre à son jeu, ce lui fut presque un soulagement de constater que cette aventure était finie. Mais les semaines en s’écoulant modifièrent sa manière de voir ; elle regretta la griserie que l’encens des hommages lui causait. Peut-être crut-elle aimer réellement Lucien. Le spleen l’envahit. Un vide se fit que rien ne comblait.

Piétinant son amour-propre, elle écrivit.

Quelques jours après cette lettre, répondant à son amie Pauline Dubois, qui l’invitait à faire un séjour chez elle, elle monta à bord d’un convoi du Pacifique Canadien à destination de Montréal.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

En parcourant le journal ce soir-là, Lucien Noël aperçut dans le Carnet Social, cette simple note qui eut l’heur de lui mettre le cœur en fête.

« Mlle Hortense Lambert de Québec est à Montréal pour quelques jours, l’invitée de son amie, Mlle Pauline Dubois. »

Son premier mouvement, et tout instinctif, fut d’aller à l’appareil téléphonique. Mais comme il avait l’écouteur en main, il