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LES CAPRICES DU CŒUR

— Est-elle encore à Montréal ?

— Non ! Elle est retournée à Québec… Le mieux serait de n’y pas penser. Laisse faire les événements. Reprends tes forces et quand tu serras rétabli, tu verras que la Vie est plus belle que tu ne crois…

— La Vie sans elle… Ce n’est pas la Vie.

— Sornettes que tout cela… Comment vas-tu depuis ce matin ?

— Assez bien ! Je me sens très affaibli. J’ai hâte d’être sur pied et complètement rétabli… C’est ennuyeux, cette chambre et cette inaction forcée.

— Ce ne sera pas long, si tu fais attention à toi. Surtout chasse les papillons noirs qui voltigent autour de toi et exerce-toi à voir la Vie en rose.

— Je ne puis pas… J’ai peur qu’elle ait changé. Vois-tu, si elle ne m’aimait pas, j’aimerais mieux être mort. Je ne pourrais supporter qu’un autre que moi la possède… Non ! je ne pourrais le supporter.

— Tu t’énerves pour rien… Songe que tu es jeune et qu’il y a devant toi le plus bel avenir… Bon, je me retire, tâche de te reposer. Je viendrai te voir demain.

— L’Espoir a-t-il paru durant ma maladie ?

— Comme si rien n’était, sauf qu’il y manquait tes articles… À demain et repose-toi bien.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Deux semaines de repos et Lucien était complètement remis. Comme le lui avait dit son ami, ses affaires étaient toutes réglées. Mainville en avait pris la responsabilité et s’était acquitté de sa tâche avec le plus grand succès.

La famille du journaliste se félicitait de son heureux rétablissement, vis-à-vis de lui, ils étaient remplis d’une prévenance qui allait jusqu’au devant de ses moindres désirs.

— As-tu revu Hortense, demanda Lucien à sa sœur, un soir pendant qu’il lui écoutait interpréter sur le piano quelques sonates de Beethoven.

— Oui. Elle est venue bien des fois s’informer de tes nouvelles avant de repartir pour Québec. Elle a téléphoné ensuite chaque jour jusqu’à l’annonce de ton rétablissement.

— Avait-elle l’air chagrinée de me voir en cet état ?

— Beaucoup… Elle est très bonne dans le fond, bien que trop légère et trop coquette.

Ce fut comme si un rayon de soleil avait caressé chaleureusement tous les membres de Lucien. Il se sentit plus fort… une lumière l’inonda qui était douce infiniment. Son cœur se fondait dans la joie…

Il ne posa pas d’autres questions. Il fut gai, exubérant. Il faisait des projets tout haut. La Vie le reprenait avec force, avec d’autant plus de force qu’il en goûtait mieux la douceur. C’était si bon de ne plus souffrir, de redevenir ce qu’il était auparavant, de pouvoir aller et venir dans la maison à sa guise, de sortir et de regarder l’animation de la rue et d’y prendre part, après avoir été, durant si longtemps, confiné à l’immobilité et au repos.

Le voyant tout à fait réconforté et en possession de son énergie et de son courage, Germaine lui remit, le lendemain matin, une enveloppe adressée comme suit : « Pour remettre à Lucien Noël quand il sera mieux ».

« Mon cher ami,

« J’ai su avec chagrin que vous aviez été malade, et cela m’a beaucoup bouleversée de vous savoir dans cet état. Ce que j’ai à vous dire, mon cher Lucien, va probablement vous peiner. Mais je considère qu’il vaut mieux que nous jouions cartes sur table pour nous épargner à nous deux de graves malentendus pour plus tard. J’ai demandé qu’on ne vous remette cette lettre que lorsque vous serez parfaitement bien et en état de supporter le choc que la nouvelle que je vais vous apprendre va probablement vous causer. Nous avons tous deux été le jouet d’un destin cruel. Vous m’aimez ! Hélas ! si j’ai pour vous beaucoup de sympathie, si je vous considère comme mon ami le meilleur et le plus sincère, je ne vous aime pas d’amour puisque mon cœur appartient à un autre. Je suis fiancée à quelqu’un que vous connaissez bien, et qui me semble avoir beaucoup d’estime pour vous : Gilbert Voisin. Quand vous le désirerez, je vous remettrai vos lettres… etc., etc. »

Lucien ne put en lire plus long. Pas un muscle de sa figure ne bougea cependant.