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LES CAPRICES DU CŒUR

elle, comme vous êtes changé !

— Si je suis changé physiquement, mon cœur n’a pas changé. Vous, pourquoi avez-vous changé ?

— Je suis toujours la même.

Ses traits se rassénérèrent. Une lueur d’espoir passa dans son regard.

— Venez vous asseoir près de moi, sur ce divan, implora-t-il.

Il y avait tellement de douceur, tellement d’émotion dans le son de sa voix, qu’elle ne put lui refuser cette faveur.

Elle prit place près de lui. Il lui saisit la main qu’elle ne retira pas, la couvrit de baisers… balbutia :

— Hortense… Hortense… Que je t’aime ! Que je t’aime ! et se mit à pleurer, comme un grand enfant. Abondantes, les larmes lui coulaient, chaudes, au long des joues. Et cela l’apaisait, chassait la fièvre qui le brûlait, le rongeait, le dévorait.

Elle se sentit prise pour lui d’un sentiment sincère de pitié. Cette douleur qui s’étalait devant elle, librement, sans fausse honte ; ce cri déchirant d’amour la troublait. Un instant, une pensée de dévouement lui traversa la tête. Elle se sentit coupable vis-à-vis de lui… Et elle voulut réparer… Mais ce ne dura guère…

— Calmez-vous Lucien ! Pourquoi pleurer comme cela. Soyez plus homme.

— Voyez Hortense, je vous immole jusqu’à mon orgueil.

Il se jeta à ses pieds et baisa le pan de sa robe. Et ses yeux se portèrent vers elle. Ils étaient suppliant comme des bons yeux de chien qu’on bât.

— Hortense ! Cette lettre, c’était une plaisanterie. Dites-moi que c’était une plaisanterie ! Il faut que ce soit ainsi.

Elle ne répondait rien.

D’un bond il se leva. Les larmes séchèrent subitement au bord des prunelles. Les yeux braqués sur les siens, il en scruta la profondeur, voulut y lire.

— C’est vrai ?

Il lui saisit la main d’un geste brutal, l’attira à lui, lui enserra la taille, et exalté, fougueux, passionné, il colla ses lèvres sur les siennes. Il fit ployer la jeune fille qui ne pouvait se débarrasser de l’étreinte. Les baisers se suivaient, enfiévrés, brûlants.

Au contact de cette bouche, les lèvres frémirent… Mais elle se ressaisit aussitôt.

— Lucien, vous êtes une brute.

— Non pas ! Je vous aime ! Je vous aime, malgré moi, malgré vous. Et je lutterai pour mon amour. Tout n’est pas dit et je ne vous ai pas perdue définitivement.

Son exaltation tomba. Il redevint humble, petit.

— Hortense, pardonnez-moi ?

— Je vous pardonne, répondit-elle simplement.

— Pourquoi m’avez-vous fait cela. Au moment où j’avais le plus besoin de vous, vous vous êtes éloignée, vous m’avez abandonné. Et pourtant… oui, pourtant, vous m’aviez laissé entendre, vous m’aviez presque promis qu’un jour…

— Je vous ai dit toujours « peut-être ». Et vous savez que cela n’engage à rien.

— C’est vrai que vous êtes fiancée.

— C’est vrai… Mais je vous garderai toujours une part de mon affection. Car vous ne m’êtes pas, vous ne pouvez m’être indifférent. Qui sait ce qui serait arrivé si je ne l’avais pas rencontré, lui…

— Qui, lui ? Cette nullité encombrante dont le seul mérite est de n’avoir pas d’honneur…

— Je vous défends de parler comme cela… Il est mon fiancé… C’est la jalousie qui vous aveugle…

— Moins que vous ne croyez.

Il se redressa :

— Mademoiselle, mes sympathies. Si deux montagnes ne se rencontrent pas, deux hommes se rencontrent. Il me paiera chaque minute de bonheur qu’il me vole. Au revoir.

Ayant recouvré son calme apparent, il salua et sortit. Que s’était-il passé en lui, soudainement ? Était-ce une sorte d’anesthésie sentimentale qui l’empêchait de souffrir ?

L’avenir lui fit moins peur qu’il ne l’aurait cru. Bien qu’il eût la conviction que tout était fini, une voix en lui lui criait d’espérer. Il avait une diversion : la vengeance qu’il méditait.


XXI


Comme il cheminait, tête basse, il fut salué, en face du Palais de Justice, par une voix ironique qui lui lança à la figure :

— Bonsoir, monsieur Noël. Vous avez bien l’air triste ce soir.

Cette phrase le cingla comme un coup de cravache.