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§ 5-6 PRÉLIMINAIRES 3

Cette observation est générale. Toutes les sciences ont progressé, quand les hommes, au lieu de disputer sur les principes, ont discuté les résultats. La mécanique céleste s’est constituée avec l’hypothèse de la loi d’attraction universelle. Aujourd’hui, on doute que l’attraction soit bien ce qu’on pensait ; mais quand même une nouvelle opinion serait acceptée, grâce à des observations nouvelles et meilleures, les résultats auxquels arrive la mécanique céleste subsisteraient toujours ; il n’y aurait qu’à y faire des retouches et des adjonctions.

5. Instruits par l’expérience, nous voulons essayer d’employer, dans l’étude de la sociologie, les moyens qui furent si utiles dans celle des autres sciences. Par conséquent nous n’établissons aucun dogme, comme prémisse de notre étude, et l’exposé de nos principes n’est qu’une indication de la voie que nous voulons suivre, parmi les nombreuses qu’on pourrait choisir. C’est pourquoi, en nous accompagnant sur celle-là, on ne renonce nullement à en suivre une autre.

Dès les premières pages d’un traité de géométrie, l’auteur doit dire au lecteur s’il se propose d’exposer la géométrie euclidienne ou, par exemple, la géométrie de Lobatschewsky ; mais ce n’est qu’un simple avertissement, et, s’il expose la géométrie de Lobatschewsky, cela ne veut pas dire qu’il nie la valeur des autres. C’est dans ce sens, et pas autrement, qu’on doit entendre l’exposé que nous faisons ici de nos principes.

6. Jusqu’ici, la sociologie a été presque toujours présentée dogmatiquement. Le nom de positive, donné par Comte à sa philosophie, ne doit pas nous induire en erreur : sa sociologie est tout aussi dogmatique que le Discours sur l’histoire universelle de Bossuet. Ce sont des religions différentes, mais enfin des religions ; et l’on en trouve du même genre, dans les œuvres de Spencer, de De Graef, de Letourneau et d’une infinité d’autres auteurs.

De sa nature la foi est exclusive. Celui qui croit posséder la vérité absolue ne peut admettre qu’il y ait d’autres vérités dans le monde. C’est pourquoi le chrétien fervent et le «libre penseur» combatif sont et doivent être intolérants. Ainsi, pour qui a la foi, une seule voie est bonne ; toutes les autres sont mauvaises. Le musulman ne voudra pas prêter serment sur l’Evangile ni le chrétien sur le Coran ; mais celui qui n’a aucune foi prêtera serment sur un livre ou sur un autre, et même sur le Contrat social de Rousseau, pour peu que cela puisse faire plaisir aux croyants humanitaires :