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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/237

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DRAMES HISTORIQUES.

Dumas le veut bien dire[1]. Mais il est vrai que son individualité est en partie absorbée dans la poussée de cette fantaisie populaire, anonyme et avide. Les idées y comptent pour peu ; l’imagination et la sensibilité y sont d’un autre poids. Le plus souvent, la légende s’y substitue glorieusement à la réalité des faits ; et la philosophie revêt une forme métaphorique et grandiose, qui est l’image même du peuple en mouvement à travers les siècles. Or, cette conception de l’histoire — couleur, imagination, sensibilité — très congruente au drame, l’est infiniment moins à la vérité historique.

Aussi Dumas, qui se réclame d’abord de Shakespeare, le patron plutôt que le maître des romantiques, prend-il son appui surtout sur Schiller et Walter Scott. L’analyse des mobiles intérieurs est trop subtile, pénétrante et philosophique chez l’auteur des Henri et de Richard III. Nous avons vu que les emprunts qu’il lui fait se réduisent à des moyens de théâtre, d’action, de traduction de la vie physique, extérieure et débordante, et que nous ne sommes aucunement assuré qu’il ait lu les drames historiques de celui qui lui révéla le drame.

Avec Schiller, c’est l’ardente individualité de Rousseau qui lui revient transformée pour la scène. Et c’est aussi le lyrisme, qui n’est pas contraire au drame, quand il se plie aux lois et au mouvement de la scène : Corneille le savait bien, qui écrivait les duos du Cid, d’Horace, ou de Polyeucte. Or ni en l’une ni en l’autre l’histoire ne trouve son compte ; ni Gœthe ni

  1. Au milieu de toutes ces recherches, de toutes ces investigations, de toutes ces nécessités, le Moi disparaît, je deviens un composé de Froissart, de Monstrelet, de Chastelain, de Commines, de Saulx-Tavannes, de Montluc, de l’Estoile, de Tallemant des Réaux et de Saint-Simon : ce que j’ai de talent se substitue à ce que j’ai d’individualité. » (Mes mémoires, t. VIII, ch. ccv, p. 172.)