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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/284

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LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

de Sophocle ou de Shakespeare ; la porte est condamnée et la reine invisible par l’ordre de Buridan. Et l’on voit que si le début du tableau languit, la fin ouvre brusquement la carrière à l’imagination des milliers de Buridans, dont l’ambition et les appétits sont lâchés à travers le monde. Du muscle, du muscle, et encore du muscle !

Marguerite est venue à la taverne d’Orsini. Le peuple de France remarquera qu’elle n’y semble point dépaysée. Cela n’est pas pour déplaire à nos amours-propres de manants. Il n’y a pas plus loin du Louvre à la porte Saint-Honoré que du Louvre à la Tour de Nesle[1]. Cette observation judicieuse et démocratique est du capitaine Buridan. Vous dites que la scène est d’une prodigieuse invraisemblance ? Dumas le confesse, le regrette, et ne s’en attriste pas autrement[2]. Il n’a point tort. Car elle est tout entière soutenue par le sentiment égalitaire, qui l’anime, et qui en masque l’artifice. L’individu s’y dresse devant le pouvoir royal, et l’imagination, la toute-puissante imagination, emporte d’un mouvement hautain cette gageure de déclamation énorme, imprévue, et vraiment douce à l’âme de la garde nationale. Plus tard, Dumas développera la scène en six volumes, dans la Comtesse de Charny. Buridan, qui avait en main l’épingle, possède aussi les tablettes de Philippe. Cela donne à un homme de sa taille beaucoup d’aplomb et de l’esprit. Si les tablettes ne réussissent point, patience : il tient en réserve un autre talisman. « Que voulez-vous de moi alors[3] ? » dit la reine. Veut-il l’argent, le pouvoir, le sceau et le parchemin à discrétion ? « Je veux tout cela », repart Buridan. Le mot est grand comme le monde moderne ; il est l’épilogue de la Révo-

  1. La Tour de Nesle, II, tabl. iii. sc. iii, p. 34.
  2. Mes mémoires, t. IX, ch. ccxxxv, p. 181.
  3. La Tour de Nesle, II, tabl. iv, sc. ii, p. 40.