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LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

audaces chères au peuple que nous sommes. C’est une règle d’intérêts composés, que Dumas a nettement expliquée[1], et dont l’énoncé revient à ceci : étant donné un ennemi vaincu, désarmé, enfermé, qui n’a plus que la parole pour se défendre, et la femme victorieuse, mais curieuse de jouir de son triomphe, trouver les formules et la solution qui renverseront les rôles, délieront les bras et les pieds meurtris, élèveront l’humble, abaisseront le puissant, et feront de l’aventurier un premier ministre. La solution en est élégante, simple, émouvante, stupéfiante, et graduée avec coquetterie. Granier de Gassagnac a prétendu que la scène était tirée de Lope de Vega ; Gaillardet affirmait qu’elle était de lui[2]. Oh ! qu’elle est de Dumas, et préparée et filée avec un art digne des plus belles œuvres scéniques, avec cette pointe d’impertinence, qui est au fond du caractère de l’auteur et des hommes de sa génération, et qui fait de Buridan un d’Artagnan révolutionnaire. Il sourit, il est chevalier, il est Français ; il ajuste le degré d’insolence qui convient dans la défaite ; il est délicieux de grâce et d’élégance dans la victoire finale. Qu’était-il tout à l’heure ? Rien. Que veut-il être ? Tout. Ce n’est ni Lope, ni Gaillardet ; c’est la propre verve puissante, gasconne, adroite et communicative de Dumas. Cette scène de la prison, Gaillardet (qui ne l’avait pas exécutée dans son premier manuscrit) reconnaît l’avoir ainsi placée dans le second, que Buridan devait terminer son récit en tendant les mains à Marguerite et en lui disant : « Délie ces cordes ! » Marguerite le déliait, à genoux. « M. Dumas a triplé cet effet…, ajoute-

  1. Mes mémoires, t. IX, ch. ccxxxiv, p. 170.
  2. Voir plus haut, p. MO, n. 1 ; et Mes mémoires, t. IX, ch. ccxxxvi, Lettre de Gaillardet à M. S.-Henry Berthaud, citée par Dumas, pp. 210 sqq.