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DRAME POPULAIRE DE CAPE ET D’ÉPÉE.

Buridan n’est pas un type historique : il personnifie à lui seul une histoire du peuple. Après le crime de la jeunesse, il s’est ressaisi. Trahi par son idéal, il s’est embarqué dans les aventures et les guerres d’Italie. Il est un satellite de la grande légende. Pour jouer le rôle d’un Bonaparte, il ne lui a manqué que l’occasion d’un Brumaire. En attendant, il fait sa révolution du palais. Il veut devenir ministre, et il le devient ; ministre, il se gardera du pédantisme et du petit génie de Ruy Blas. Musclé, cambré, de sang-froid, de cœur chaud, de belle mine même après une nuit d’orgie, sans morgue avec le soldat, mais insolent envers le pouvoir, brave et souriant dans la défaite, et jamais désemparé, il résume toute une époque de l’imagination française. Moins bon gentilhomme que d’Artagnan, il est plus proche de Figaro. Seulement, il a laissé la guitare pour l’épée ; et, comme il s’est déniaisé de certaines prétentions au dilettantisme et à l’esprit, l’exemple de Napoléon l’a fait ambitieux et prêt à tout. À peine retient-il de son ancêtre une pointe de sensiblerie, qu’il reporte de la femme sur les enfants. Homme fort, et qui ne s’en fait pas accroire, tant que sa force n’est pas couronnée. Une fois parvenu, c’est une autre affaire. Au moment de rendre son épée, il se dresse et dit de sa hauteur : « Moi, le premier ministre[1] ! » Mot malheureux, qui lui attire une réplique sévère, mais d’un bon citoyen : « Il n’y a ici ni reine ni premier ministre[2]… » Il était temps qu’on l’arrêtât : il allait se compromettre.

Buridan est de la race du barbier, mais plus moderne dans sa façon de s’évertuer. Qui ne voit qu’il suffirait de quelques transpositions dans le rôle pour en pro-

  1. La Tour de Nesle, V, tabl. ix, sc. v, p. 98.
  2. Ibid.