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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/335

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ANTONY.

s’y montrait insinuant, caressant et souple, jusqu’au transport effréné de la fin qui préparait le troisième acte. L’émotion dramatique était accrue[1] par l’attente de l’heure oii la voiture doit jjrendre Adèle pour l’emporter vers le mari. Les aiguilles de la pendule y jouaient leur rôle. Et Antony s’insinuait encore, murmurant des choses très douces et très rares sous la plume de Dumas. C’était le vers classique :

Pour vivre sous tes lois à jamais asservi[2].

Et c’était la passion du début de ce siècle, idéale et sensuelle, idolâtre et meurtrière.

« … Et pourtant, si vous le vouliez, je pourrais être pour vous un frère, un ami (la demie sonne). » — « Ah ! » — « Qu’avez-vous ? » — « N’entendez-vous pas cette pendule ? Elle sonne neuf heures et demie ». — « Eh, qu’importe la fuite du temps ? Qu’elle sonne un de mes jours à chacune de ses minutes, et que je les passe près de vous !  » — « Oui, c’est juste, qu’importe ? » — « Oh ! qu’elle serait délicieuse, cette vie de frère, d’ami ! Vous me diriez vos peines, vos douleurs ; je les consolerais. Et moi, je ne vous parlerais même pas des miennes. Je sourirais à votre arrivée, je sourirais à votre départ ; j’oublierais tout mon passé pour mon avenir ; j’éteindrais petit à petit les battements de mon cœur et les bouillonnements de mon sang. Je ne me souviendrais plus que, lorsque je vous rencontrai, vous étiez libre, que j’aurais pu être tout pour vous, comme vous tout pour moi ; et vous, de temps en temps, vous me diriez avec votre douce voix[3] : « mon ami ». Vous me tendriez la

  1. Il a repris ce moyen dans Richard Darlington, I, tabl. ii, sc. V, pp. 59 sqq. Émile Augier en a tiré parti dans Maître Guérin, IV, sc. vi, p. 153.
  2. Polyeucte, V, sc. iii.
  3. Les héros et les héroïnes de Dumas sont sensibles d’abord aux caresses de la voix. MM. Meilhac et Halévy s’en sont amu-