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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/370

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LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

lettres. De Vigny, malgré ses airs d’a]iôtre, a chatouillé au bon endroit la vanité romantique, et par delà le romantisme, tous les écrivains, artistes et badauds qui affectent le dédain du bourgeois. L’idée était dans l’air. Lisez Namoana et l’avant-propos de la Nuit vénitienne[1]. Remontez plus haut, lisez Gœthe, dans Torquato Tasso, où il oppose le poète à l’homme de cour, et surtout le commentaire que madame de Staël en fait[2], avant Stello, avant le Docteur Noir. Même l’honnête Casimir Delavigne a glissé dans Marino Faliero une scène, qui est le fonds de Chatterton ; et il a pu fournir à de Vigny le moyen de hâter son dénoûment. Seulement, il n’était pas dupe de cette guitare romantique. À Bertram le statuaire, Lioni, l’un des Dix, fait ce sermon, qui ne manque ni d’esprit ni d’à-propos en 1829 :

 
Sois un artiste habile,
Un sculpteur sans égal ; mais pense à tes travaux,

Et, quand tu veux blâmer, parle de tes rivaux.
L’État doit aux beaux-arts laisser ce privilège…


Et il ajoute doucement :

 
Garde-toi d’oublier
Que des vertus ici l’humilité chrétienne

Est la plus nécessaire, et ce n’est pas la tienne[3].

Ce n’est pas celle de Chatterton. Ses prétentions, il en faut rabattre. Dès le moment que la bourgeoisie

  1. Comédies, t. I, p. 3. « … Il n’en est pas moins vrai que l’artiste pauvre et ignoré vaut souvent mieux que les conquérants du monde, et qu’il y a de plus nobles cœurs sous les mansardes… etc. » Hors du théâtre, Dumas a eu l’occasion de développer ces idées en déclamant : il n’y a pas manqué. Voir Mes mémoires, t. IX, ch. ccxvi, pp. 1 sqq.
  2. De l’Allemagne, t. II, ch. xxii, p. 152.
  3. Marino Faliero, II, sc. ii, p. 32. La scène est peut-être un lointain ressouvenir du Torquato Tasso de Gœthe ; car le Bertram de Byron est simplement un conjuré.