Encore le sens historique de Shakespeare y est-il moins matériellement traduit. Sir Walter Scott est un parvenu, si l’on veut bien dire ; encore plus curieux de bibelot que d’érudition. Il est un collectionneur, qui pense faire œuvre d’historien. Il n’a point l’âme féodale ; mais seulement la fantaisie. Il semble un fureteur infatigable. Il aime les parchemins pour l’écriture et la miniature, beaucoup plus que pour le sens de ce qu’ils contiennent. Son « regard d’aigle[1] » ne voit pas plus loin que le verre de sa loupe d’antiquaire ; il guette les pièces rares et les bonnes occasions. Et il en sait tirer parti. Il dépasse de cent coudées l’amateur d’estampes de La Bruyère : il vend.
Dumas est au point de comprendre cet homme-là. Il ouvre de grands yeux devant ces vitrines d’histoire et d’art. Plus tard, il fera bâtir Monte-Cristo pour imiter son idole en tous points. À cette heure, il meuble, décore et tapisse son imagination ; il éclaire son cerveau, et l’emplit de couleurs. Il voit des milieux reconstitués, des mœurs qui se traduisent immédiatement aux yeux par des assemblages d’objets mobiliers[2]. Les époques s’aménagent et s’encadrent dans son esprit : elles vivent d’une vie extérieure, qui à cette curiosité dévorante et neuve produit l’effet d’une résurrection. Il en retient des images autrement animées que les gravures qui déshonorent la traduction Defauconpret. Dispersée dans le roman, condensée sur
- ↑ Blaze de Bury, op. cit., II, p. 21. Citation d’Augustin Thierry : « Walter Scott venait de jeter son regard d’aigle… »
- ↑ Mes mémoires, t. IV, ch. xciv, p. 80. « … Mais lorsque l’auteur m’eut introduit dans la salle à manger romane du vieux Saxon ; quand j’eus vu la lueur du loyer, alimenté par un chêne tout entier, se refléter sur le capuchon et sur la robe du pèlerin inconnu ; quand j’eus vu toute la famille du thane prendre place à la longue table de chêne…, etc. » Il voit les chapitres d’Ivanhoe.