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ÉMILE AUGIER

« distinguo », qui ne satisfont que la loi. Mais le tribunal s’obstine à ne pas être convaincu, au fond. « Le fond ! oh ! oh ! le fond ! Apprends pour ta gouverne que le seul moyen d’avoir une règle fixe dans ce monde, c’est de s’attacher à la forme, car les hommes ne sont d’accord que là-dessus. » Et d’arpenter le théâtre, furieux. Le duel s’engage sur le terrain de l’honneur, à armes inégales. Car Me Guérin ne comprend plus. Cela ne lui entre pas en l’esprit, qu’on puisse être plus loyaliste que la loi, et n’être pas loyal. Et cela, en effet, est un sentiment très simple et primitif, en somme, qui n’est devenu délicat et raffiné que depuis que les Turcaret, les Guérin et les Benoiton ont pullulé en ce monde. Au-dessus de la probité, il y a l’honneur ; au-dessus des trente-six morales, la morale. Au nom de la morale le colonel repousse enfin les avances de Mme Lecoutellier et déjoue les calculs de son père. Pour sauver l’honneur, il signe des billets à Brénu, l’homme de paille, et demande la main de Francine. C’est la guerre civile dans la demeure de l’honorable fripon. Il en oublie la fôôrme, injurie Desroncerets, Francine, et sa femme trop longtemps passive, qui cette fois relève l’outrage. Louis parait en grand uniforme, juste au moment où Guérin la menace de lui faire réintégrer le domicile conjugal entre deux gendarmes. « C’est à ma mère que vous parlez ? » — « Mêlez-vous… (À part.) S’il croit m’imposer… » — « Je ne veux pas que tu sois martyrisée plus longtemps : je t’emmène. (À son père.) J’ai tout entendu de ma chambre. Rendez grâces au ciel que je n’aie pas été instruit plus tôt. » — « Mais, colonel, il me semble que vous le prenez de bien haut. » — « C’est que vous n’êtes pas habitué à me voir debout. Viens, maman… Invoquez la loi, si vous l’osez. » Et voilà où aboutit cette grande soif de la richesse : à la désorganisation d’une famille, dont la mère est une bonne âme, le père un homme actif et intelligent, trop l’un et l’autre, le