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ÉMILE AUGIER

Avec Jean de Thommeray, il revient à la charge. Mais il adopte une tactique différente. La victime de la blague est au premier plan, dessinée d’une main minutieuse et ferme. Moins d’esprit, et plus de psychologie ; moins de pastiche, mais une étude serrée et graduée des dégâts que fait la contagion dans une âme jeune et bien située. Le moment n’était que trop favorable, cette fois, pour en produire la saisissante peinture. Jean est l’ainé des fils du comte de Thommeray. Il appartient à une vieille maison bretonne, dont les traditions d’honneur sont séculaires, et où règne le culte de la famille et de la patrie. Riche, le comte a épousé une jeune fille pauvre. « La comtesse pourrait dire en quelques mots l’histoire de toute sa vie : elle a été l’unique amour d’un honnête homme qu’elle a uniquement aimé. » Voilà pour la famille. De cette union sont nés trois fils. Depuis le grand-père, qui fut un vendéen, tous les enfants mâles servent leur pays sans lui rien demander ; ils s’engagent à dix-huit ans, partent pour l’Afrique et reviennent soldats. « J’ai fait comme avaient fait mon grand-père et mon père, dit Jean ; mes frères ont fait comme moi, et nos fils feront comme nous. » Voilà pour la patrie. Depuis son retour, il vit au château paternel, fiancé à Marie, qui l’aime comme son futur époux, et qu’il aime, lui, comme une sœur. Mais il est parfois à l’étroit dans le manoir héréditaire ; il court par monts et par vaux, cet Hippolyte breton, pour obéir à je ne sais quel besoin de vivre qui le pousse, pour secouer les vagues désirs d’une existence moins paisible. Tout le premier acte est un tableau calme de la vie familiale, avec une fraîche scène d’amour tendre, comme les sait écrire Émile Augier, quand il s’abandonne à rêver idylle et poésie. Marie s’est aperçue que, depuis un temps, Jean est distrait et triste ; affectueusement, doucement elle s’en inquiète. Et il s’explique : il l’aime, mais l’immuable sérénité des jours lui pèse un peu ; il l’aime