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ÉMILE AUGIER

Galeotti, la marquise d’Auberive, Léa de Clers, esseulées, d’esprit inquiet, d’humeur curieuse, de cœur sensible, ou de sens imprudents, qui importent dans le salon familial la contagion des garçonnières. Elles y trouvent un soutien en la personne de leur frère, qui fait chorus, instruit par les mêmes docteurs de sagesse, stylé par les mêmes arbitres de toutes les élégances.

Tous bâtis sur un modèle unique, ces Clitandres sont un composé de candeur et d’indifférence, de bon sens et de paradoxe, d’enthousiasme et de scepticisme, d’honnêteté fougueuse et de dépravation factice : ils s’évertuent avec constance à mortifier en eux la bonne nature. Quelques-uns y réussissent pleinement. Témoin ce Franz Milher, de la Pierre de Touche, dont nous voyons qu’un héritage imprévu et des conseils habilement semés dessèchent le cœur et tarissent le génie. Mais tous ne trébuchent pas dans une grandeur si misérable. Leurs fluctuations de conscience sont comme le ressort de la comédie, qui tend ou détend le jeu de l’intrigue. Du vice ils n’ont souvent que le vernis, qu’il suffit de gratter au dénoûment. Variables selon la température et l’atmosphère qu’ils subissent, ils sont toujours d’après d’autres, alternativement conquis à la vérité, qui est la jeunesse, la foi, l’honneur qui bouillonnent et grondent intérieurement, ou alléchés par les sophismes d’une morale pratique et aventurière. C’est Philippe Huguet, dont la jeunesse se consume d’ambition ; Lucien de Chellebois, qui rougirait de ses bonnes actions, si rougir n’était une inélégance ; Léopold Fourchambault, un gandin qui a du genre au point qu’on croirait qu’il manque de cœur ; l’ingénieur André, qui traverse la fournaise, où quelque plume périt ; et Jean de Thommeray, le plus poussé de ces caractères flottants et dont il serait difficile de dire s’il est bon ou méchant. Il est l’un et l’autre, comme tous les jeunes gens de ce théâtre, entre le côté cour qui est le foyer de famille, et le côté jardin, où règnent les bril-