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ÉMILE AUGIER

vie d’origine louche et d’une probité douteuse. Déclarations, déclamations. D’Estrigaud perd à la Bourse, et il n’a que le courage de se survivre. Il mène sur le terrain des gens qu’il veut tuer, et il a la prudence de leur laisser croire à un duel pour la forme ; il s’abaisse à jouer un rôle, et consent à tomber en pâmoison pour une blessure imaginaire : la vérité est qu’il concède moins au respect humain qu’au respect de sa vie. Il n’est pas si crâne, le baron. La société, avertie et édifiée, n’a qu’à se tenir en garde.

Le d’Estrigaud de Lions et Renards a pris de l’âge, et il a l’expérience des chutes. Il ne considère plus le mariage comme un pis-aller, mais comme un capital à réaliser de suite et sans hasard. Il aspire sourdement, lui aussi, aux millions de Catherine, et contrarie les desseins de M. de Saint-Agathe. Il est devenu plus cauteleux dans ses démarches ; il exerce une séduction plus insinuante et enveloppante. Il ne songe plus à attirer chez lui la femme qu’il a visée. Il se rencontre au théâtre avec elle, dans une loge d’amis, se fait présenter, offre ses hommages, saisit ce prétexte d’une visite, et apporte lui-même, par une attention délicate et stratégique, un objet, un livre, un souvenir, un rien précieux. Il compromet Catherine discrètement, obliquement, pour l’épouser finalement. Il ne dresse plus d’embuscades avec la leste décision d’autrefois. Il cerne la place, il creuse ses tranchées, il trace ses parallèles Il a en soi l’éloffe d’un général. S’il échoue à Paris, il sera plus heureux à Rome. Il faut lire la scène diplomatique entre Saint-Agathe et lui[1], pour juger combien il s’est assoupli, assagi, plus adroit et moins cassant. C’est le même procédé de retouche à l’estompe. Et il est vrai qu’à présent je crains ce type davantage. Il incline à l’hypocrisie, comme Don Juan. Il calomnie, comme Basile. Il fera sa retraite chez les bons Pères :

  1. Lions et renards, iv, 7.