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LE THÉATRE D’HIER.

toujours, elle consente parfois à se dérober, triomphante sans affectation, souveraine avec quelque modestie.

Au regard du métier, elle a d’autres avantages que M. Alexandre Dumas sait bien. C’est d’abord la nécessité (car il n’y a que nécessité et peu ou point de contingence en cette façon de comprendre le théâtre) de définir nettement le sujet et d’en prévoir les extrêmes conséquences : en sorte que l’auteur est moins occupé du point d’où il part que du terme où il veut atteindre. Et cette compréhension est d’autant plus limpide que la pièce est plus osée. Il est trop évident que M. Dumas ne choisit pas un sujet à cause d’une scène ou d’un rôle qui le séduit, mais pour le sujet même et la conclusion décisive. Prenez garde que cette lucidité dans la conception, cette vaillance dans la dialectique marquent ce système dramatique d’une singulière originalité. Dans le théâtre de Molière et dans celui de demain peut-être, le dénoûment est une concession beaucoup plus qu’une conclusion, un point final que l’auteur ajoute par habitude ou par déférence, et parce qu’il se fait temps d’aller diner ou dormir. Mourir ou se marier en scène, cela s’appelle pareillement faire une fin. Au reste, ni Regnard ni Molière ne tiraient vanité de leurs dénoûments, et je ne pense pas que M. Henry Becque lui-même tienne davantage aux siens. Pour M. Alexandre Dumas, la fin est véritablement une fin, la raison même du raisonnement.

« On ne doit jamais modifier un dénoûment. Un dénoûment est un total mathématique. Si votre total est faux, toute votre opération est mauvaise. J’ajouterai même qu’il faut commencer sa pièce par le dénoûment, c’est-à-dire ne commencer l’œuvre que lorsqu’on a la scène, le mouvement et le mot de la fin. On ne sait bien où l’on doit passer que lorsqu’on sait bien où l’on va[1]. »

Or nul ne sait mieux que lui où il va, et comme où il va, il n’y fait jamais sûr, et qu’il n’est pas homme à

  1. Seconde préface de la Princesse Georges.