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IX
HIER ET AUJOURD'HUI.

disparaît, quand toute règle est détestée, toute mesure méconnue, alors que le sens du beau s’émousse par l’abus de toutes licences et trivialités féroces. C’est un désarroi de la conscience littéraire. On semble avoir perdu jusqu’à la faculté d’acheter le plaisir esthétique au prix de quelque peine. Tout ce qui n’amuse pas immédiatement et directement, ennuie. Le scandale même nous lasse : on nous en a trop donné. Demanderez-vous au public d’être plus délicat que la plupart de ceux que l’on voit prendre en main la mission de l’éclairer ? Les mots ont perdu leur valeur ; la moindre drôlerie est saluée du nom de chef-d’œuvre ; le parler français n’a pas de terme assez fort pour célébrer les mérites de l’opérette ou de la pantomime. Il y faut les sonorités de l’italien ; « brio », « maestria », « diva » (diva !) saluent la voix blanche et les minauderies pincées de la chanteuse en renom.

Et ainsi, une brillante période de l’art dramatique s’achève dans le désordre artistique et moral. « Je me sens dépaysé dans mon pays, disait Émile Augier. Il me semble que mes congénères ont changé de mœurs et de langage. On se pâme à des audaces où je ne vois que des fautes de goût, et devant des virtuosités où je ne trouve que des fautes de français[1]. » Manque d’en chercher les raisons profondes, on crie haro sur Scribe. On l’accuse d avoir ravalé, monnayé le théâtre. Et il est vrai que ce pelé, ce galeux ne s’en peut plus défendre.

  1. Émile Augier, par Edouard Pailleron, p. 15.