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Page:Parigot - Le Théâtre d’hier, 1893.djvu/309

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ÉDOUARD PAILLERON.

une mutuelle consécration. En principe, artistes, poètes, littérateurs sont des ornements de prix, des bustes célèbres, et qui parlent. Ils représentent une mode éternelle, où entre un peu de curiosité, et, au début de chaque époque littéraire, une prudence infinie dans le choix des renommées. Les réputations les mieux établies ont commencé par être triées au tourniquet. Mais bientôt deux ou trois salons, parloirs artistiques et antichambres des académies, vont de l’avant et multiplient leurs faveurs en relâchant la consigne. La mort a fait des vides. Ils ont appelé à eux des noms plus nouveaux et des talents plus modernes. Il faut ranimer l’esprit de conversation, qui se meurt, et quelques jeunes têtes sont assez avenantes pour donner la réplique aux gens graves, qui font autorité. J’ignore si les hommes d’un solide mérite réussissent toujours à être spirituels sur invitation ; mais je me doute que le monde, si friand de ces petites conférences, en est un peu la dupe, et qu’il perd en naturel ce que ces beaux esprits gagnent en considération. Les hommes de lettres sont comme les gazettes d’une réunion. Ils apportent sur le livre d’hier ou l’événement d’aujourd’hui une phrase, un mot, un adjectif, qui se passent à la ronde, se mettent en formule, et se colportent en guise de maxime. Ces penseurs émérites dispensent de penser.

Et puis, comme plusieurs sont d’aimables sceptiques ou de subtils analystes, et qu’il faut une rare intelligence pour nourrir un scepticisme inoffensif, de même qu’une raison supérieure est nécessaire à disséquer des états d’âme impunément ; comme, aussi, parmi les hommes de génie il y a des hommes d’esprit, qui, nés malicieux, et pour se donner le spectacle de la candeur blasée à qui ils sont offerts en représentation, se délectent à pousser le paradoxe jusqu’au plaisir suraigu et raffiné, — il se fait dans les cerveaux mondains un léger travail, d’où sort douce-