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LE THÉATRE D’HIER.

matique : car veuillez remarquer que l’auteur excuse sa description en même temps qu’il la précise, qu’il la lance et l’engage dans le train de la scène, que la phrase même, d’une coupe élégante et à la dernière mode, n’a rien d’une exposition sermonneuse, et qu’il se peut bien faire qu’en ce moment nous saisissions le point précis où l’homme de théâtre se distingue de l’homme du monde, où le talent ne suffirait plus, sans le don.

Des sujets si délicats veulent être mis en œuvre avec dextérité. M. Pailleron compose adroitement, avec aisance, sans qu’on puisse soupçonner l’effort. Il ménage, plutôt qu’il ne prépare les effets. Il promène l’intrigue en des détours ravissants, qui ne sont jamais hors-d’œuvre ; et le mouvement de la pièce, rarement précipité, est presque toujours sensible et accéléré, sans arrêt ni recul. Le fil, comme l’idée, en est parfois si ténu et délié, qu’on le croit rompu, juste à l’instant qu’il se dévide, onduleux et souple. À y regarder de près, on découvre un art étudié, peu apparent, avec une assimilation très aisée des progrès en tous genres, qu’a faits le métier dramatique depuis plus de cent ans. Nul ne s’est mieux approprié la manière de Marivaux, l’adresse de Beaumarchais, et aussi, avec d’élégantes précautions et des tempéraments judicieux, la tirade lyrique et sentimentale du drame. D’autres ont construit des machines plus solides et d’une logique plus saillante peut-être ; personne ne s’entend davantage à faire évoluer en un espace restreint, parmi des situations délicates, sans confusion ni fausse manœuvre, un groupe de personnages très divers, qui ne semblent d’abord réunis que par le hasard d’une réception ou à la faveur d’une fête intime. Il arrive souvent, à la scène, même dans les œuvres des plus grands, que, malgré l’illusion d’optique, on remarque de l’embarras ou de l’apprêt dans le va-et-vient du salon, je ne sais quoi d’artificiel qui gâte le tableau : soit que deux à deux les