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MEILHAC ET HALÉVY.

éprise d’art, que de l’idée du Beau elle fit sa pensée, sa morale, sa religion, sa vie. L’Iliade n’est pas uniquement une inestimable poème guerrier ; elle est l’âme même, l’âme artiste de l’Hellade, de cette Hellade lumineuse et chérie d’Apollon. Rien n’est vrai, bon, divin que le Beau sous ce ciel privilégié. C’est l’immatérielle attache qui relie l’Olympe à la terre. « Ne me reproche pas les dons aimables de Vénus, répond Paris à Hector ; il ne faut pas rejeter les nobles présents que nous accorde le ciel, puisque personne ne peut se les donner à son gré. » De l’antique choc de l’Orient et de l’Occident ce qui survit dans l’esprit grec, c’est l’admiration jalouse de l’Asie, lorsque pour la première fois fut révélée à ses regards étonnés l’excellence plastique de la beauté autochtone. Ce que les Achéens ne pardonnent point aux Dardaniens, c’est le vol de leur Idéal, la profanation de leur plus pure joie. Et n’est-ce pas bien le même peuple qui plus tard, aux jours solennels des Panathénées, s’acheminera en une religieuse théorie, vers le sanctuaire de Minerve, protectrice de la ville, immortalisée par le ciseau de Phidias ? La légende romaine se glorifie du brutal enlèvement des Sabines, qui est une lutte pour la race ; l’épopée homérique chante une rivalité sacrilège, et perpétue la mémoire d’Hélène, la plus belle des femmes, lâchement ravie.

Hélène n’est pas coupable ; elle est l’instrument de Vénus, qui, pour l’accomplissement des destinées, la pousse impitoyable aux bras du Phrygien. Elle est une âme mortifiée dans la gloire du corps. Elle est si peu la femme adultère, qu’au milieu de l’admiration attristée qu’elle soulève sur ses pas, aucun mot ne l’accuse, et que même les poètes postérieurs à Homère s’efforceront d’effacer de la mémoire des hommes jusqu’au souvenir même de la faute, du détestable ouvrage d’Aphrodite qui entretient avec volupté la vigueur féconde des peuples. Hélène se lamente, parce qu’elle