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LE THÉÂTRE D’HIER.

qu’en vérité d’aussi fâcheux effets peuvent naître de ces espiègles bagatelles du sentiment ?

Je vois poindre et s’enfler le mélodrame, et j’en ai du dépit, contre ce Sartorys d’abord, de qui vient tout le mal, et contre des auteurs spirituels qui, après avoir montré tant de mesure dans l’observation, sont condamnés par leur esprit même à n’en garder aucune dans l’émotion. L’un fait tort à l’autre. Ce Sartorys, qui relie en sa main les fils de l’intérêt dramatique, est un mari de Labiche, avec ses airs tragiques et d’un rodomont. S’il a l’étoffe d’un ambassadeur, je consens qu’on l’envoie à Rome, où ses éclats de voix seront au diapason du concert européen. Pourquoi faut-il qu’on ait confié à ce cuistre déguisé en diplomate les destinées d’une œuvre charmante ? Il a l’émotion collégienne et prudhommesque. Cet homme grave s’éprend, comme un novice, d’une exquise créature qui est aux antipodes de la gravité. Il l’aime comme un fou, et consent à régler sa volonté sur les désirs de celle qu’il aime ; il est guindé dans ses tendresses et gauche, et aussi peu clairvoyant qu’il est possible à un diplomate de carrière ; on dirait qu’il se modèle sur la maxime connue : « Il ne suffit pas d’être un sot, il faut avoir de la tenue. » Il en a ; et si sa femme s’avise un jour d’être la maîtresse de sa maison, il s’entête à ne point satisfaire ce suprême caprice. À cet homme grave la compagnie de deux femmes est nécessaire, l’une qui est toute jeunesse, toute grâce, toute plaisir, l’autre toute raison, toute ordre, toute sagesse. C’est un ministre qu’il faut accréditer auprès du sérail. Il tient la comptabilité de son privé en partie double, comme M. Perrichon le carnet de ses voyages : côté des impressions, côté de la dépense. Il moralise, il est près de déclamer, par ma foi. Il joue alternativement de la syncope et du fleuret ; en garde ou à genoux, telle est sa devise. Il précipite les plus gros effets du mélodrame sans sourciller. C’est encore l’éperdue Froufrou qui a le mot judicieux en cette affaire.