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VICTORIEN SARDOU.

chie, l’esprit en garde un sentiment déplaisir presque douloureux, comme d’une triomphante détresse.

Il me souvient d’avoir vu, en mon enfance, chez des charpentiers champenois, une précieuse relique, qui faisait l’orgueil de la maison. C’était le chef-d’œuvre de l’aïeul exécuté aux temps héroïques, où il fallait un chef-d’œuvre pour passer maitre : un minuscule escalier tournant dans une cage minuscule, et raboté, assemblé, chevillé d’une main experte et minutieuse. Cette lilliputienne charpente régnait sur la hauteur du manteau de la cheminée, exposée sous un globe de verre aux regards des visiteurs, couvée par le respect de toute une famille, et préservée des attouchements profanes. Elle avait coûté des mois et des mois d’inutile peine, si délicatement ouvrée et finie qu’elle semblait le point de maturité de l’équerre et du compas. Et j’admirai, du bon de mon cœur, la patience de l’ouvrier. Mais je me rappelle encore l’étrange impression qui m’envahit en présence de ce fragile et vain labeur, et que, plus les braves gens s’efforçaient à m’en détailler les mérites techniques, plus j’en demeurais effaré, non sans quelque mélancolie.

Le « chef-d’œuvre » qui imposa M. Sardou au public, est l’imbroglio des Pattes de mouche. En son genre la comédie est complète, dans sa sphère elle est supérieure. L’auteur d’Une Chaîne, sous le buste duquel M. Sardou travaillait, n’a jamais dépassé ni peut-être atteint ce degré de dextérité. C’est la quintessence du métier, le suprême de ce doigté dramatique, qui sait à propos toucher, non point la passion, mais la situation harmonique, comme sur un clavier. C’est l’odyssée, enjouée et fertile en aventures, d’une lettre oubliée pendant trois ans sous une statuette, retrouvée par le destinataire, glissée dans un vase, ressaisie par une jeune fille, rattrapée par un tiers, qui en allume une lampe ; tant y a que les restes à demi consumés tombent aux mains d’un collectionneur, qui en fait un cornet pour y enfermer