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VICTORIEN SARDOU.

sement à gâter l’affaire. Et c’est la première scène. Les témoins s’abouchent, et l’on se guinde dans un dévoûment ergoteur, et l’on fait blanc d’une chatouilleuse susceptibilité sur le point d’honneur de l’ami, qui ne se trouve point tant offensé. Et l’on a des mots impayables pour résumer l’aventure. « Mais si tu ne te bats pas pour toi… fais-le au moins pour tes amis. » Et c’est la seconde scène. Mais voici que tous ces braves gens, ces gens dévoués, ces cœurs d’élite battent en retraite, qu’ils ont soif de conciliation, de paix, de tranquillité : ils ont simplement appris qu’en cas de mort d’un des adversaires, les témoins sont passibles de la prison. Et c’est la troisième scène, qui est aussi la plus neuve et gaie. Il n’y a que lui, en vérité, pour réserver au public ces surprises agréables et graduées[1].

Comédie ou drame — c’est une précellence d’imaginative. Aux vieilleries mélodramatiques il puise le pathétique à pleins bords. Il répare les clichés romantiques ; il rajeunit « la voix du sang » . Tout cet attirail, qu’on pensait usé et qu’on jetait au rebut, il le ramasse et l’utilise. Ces ressorts fatigués reprennent de l’élasticité sous ses doigts. Relisez le ive acte des Bons Villageois. Toute l’horreur d’un naturalisme effréné et aviné, après avoir passé par le travail de ses mains, excite l’émotion sans atteindre au dégoût. Je vous renvoie à la scène déjà citée de Maison Neuve. Pendant trois actes de la Haine il nous intéresse à une jeune patricienne violée par un soudard, sans éveiller en notre esprit la moindre idée fâcheuse, sans exciter en notre cœur d’autre sentiment qu’une douloureuse sympathie. Et puis, on dirait d’une gageure. De la haine cette jeune fille s’achemine vers la charité, et ses révoltes se fondent en amour insensiblement. Ce n’étaient qu’exclamations farouches et cruels désirs de vengeance :

  1. Nos Intimes.