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LE THÉÂTRE D’HIER.

Encore Aristide était-il à peu près impeccable : ce qui n’est pas, je pense, le cas de M. Becque. Lui, qui a tant d’esprit, devrait avoir celui de réduire ces zélateurs à la modération. Ils lui font tort, en vérité, peut-être plus qu’il ne croit, et depuis plus longtemps.

Notez que cette campagne lui est injurieuse autant que nuisible, par le seul fait qu’elle s’éternise, et qu’il semble que M. Becque en ait encore besoin pour s’imposer. Et voyez comme ces bruyantes démonstrations, ces admirations impératives se retournent contre celui qui en est l’objet. On se prend à songer qu’en effet M. Becque, qui depuis plus de vingt ans est maître de sa plume, n’est pas encore maître de son public, et, pour un peu, dans l’impatience qu’on éprouve à entendre sempiternellement le même refrain, on finirait par manquer d’équité ou de mesure, et par croire que c’est le public qui a raison, tandis que MM. Becque et compagnie ont tort. Erreur, certes ; mais erreur, où entre une part de vérité. Car, si M. Becque n’est point populaire, ce n’est pas manque de talent ; c’est sa faute, sa très grande faute à lui d’abord, qui n’est pas assez détaché de ses œuvres et la faute à ses amis, qui s’y cramponnent obstinément.

Il est né homme de théâtre. Il en a reçu le don, à un degré qu’on ne saurait dire. Il ne lui a manqué que d’être moins l’homme de son théâtre, c’est-à-dire un désintéressement supérieur, une certaine humilité du génie, qui le grandit, l’élève au-dessus de ses essais, au-dessus de ses œuvres même, le préserve de s’y trop montrer, d’y être toujours présent, d’y apporter un esprit et des théories d’auteur, et de mêler à la pâte d’une observation vigoureuse je ne sais quel levain d’égoïsme intellectuel et suraigu. Il ne lui a manqué que de se complaire moins à ses mots, de ne pas tant se conjouir dans ses cruautés et crudités voulues, où l’écrivain, dans un perpétuel étonnement de soi-même, apparaît sans cesse, se frottant les mains, avec des airs