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LE THÉÂTRE D’HIER.

après un intervalle de seize années, à une reprise de Michel Pauper, me garde rancune de lui proposer M. Zola en exemple, et de le comparer à cet infatigable travailleur, qui, lui aussi, avait débuté dans la carrière par être un lutteur farouche.

Et pourtant, outre ses qualités naturelles, qui sont grandes, il a de la volonté, une volonté tenace qui s’est d’abord affirmée contre les directeurs inintelligents ou marchands, une volonté très crâne, qu’il convient de louer très haut, et qui ressembla d’abord à une foi vibrante en son étoile et sa jeunesse. Il ne me coûte pas de reconnaître qu’il y avait une manière d’héroïsme à monter seul, à ses frais, le drame Michel Pauper, héroïsme d’autant plus appréciable qu’il est plus rare dans ce coin de la littérature, où il s’exaltait. La sympathie que la jeune génération ressent pour M. Becque vient en partie de là : c’est justice.

Mais après avoir voulu, il s’est buté, buté contre les autres, et aussi contre lui-même. Il avait frappé un coup violent : sa main en est restée lourde pour la vie. Et cet homme, qui possédait un extraordinaire tempérament dramatique, s’est changé en un opiniâtre d’humeur noire et stérile. Oui, par la nature et la carrure de son talent il rappelle ces athlètes un peu gauches, qui ne sauraient vous serrer la main sans vous briser les doigts, et qui bruyamment en éclatent de rire, parce qu’au fond d’eux-mêmes ils tirent de cette inaliénable vigueur quelque vanité ; et aussi, comme parfois on fait la grimace en retirant la main endolorie, ils entrent en un chagrin profond à la pensée qu’ils ne puissent rien toucher sans le meurtrir, et que l’humanité soit faible et douillette au point de n’admirer pas sans réserve leur poigne orgueilleuse et rude.